Septembre
La résidence commence en octobre.
Lundi 2 septembre
Je rencontre Francine dans un café de Vincennes où elle vit. C’est la prof d’Histoire des arts des terminales avec lesquels je vais commencer l’année. Pour m’y rendre, je traverse le bois à vélo ; je ne croise personne. Je contourne le château. J’aperçois la Sainte Chapelle derrière les fortifications.
Francine entend comme moi que ce qui compte avec ces ateliers c’est de se croiser, les élèves, les profs, les artistes, moi, au lycée ou à la villa, nos préoccupations qui s’emmêlent, elle dit "le miel qu’ils en feront".
Au retour, je descends de mon vélo pour téléphoner. J’explique le principe de cette résidence à une autre prof que je rencontrerai bientôt aussi pour des ateliers : "Il s’agit du programme résidence d’écrivain en Ile-de-France, une résidence, enfin une bourse,(...) oui je vis chez moi, c’est financé par la région(...)" (je ne sais pas pourquoi il faut toujours que je signale que je suis payée, parfois je dis même le montant.) "Mes préoccupations quand j’écris sont assez plastiques, plus que formelles(...) Je viens de là. Oui j’ai fait l’École de photo d’Arles, mais en sortant j’ai commencé le modelage de l’argile, à faire des sculptures, de la céramique, et maintenant j’écris, oui, depuis que j’ai trente ans quand même. Hic, le roman qui paraît en janvier sera le troisième. Oui Je crois que ça je vais continuer (rires)." Le roman sur lequel je travaille en ce moment et dans le cadre de la résidence, s’intitule L’Œuvre, c’est la biographie d’un artiste imaginaire. J’invente tout, son destin, ses œuvres(...) dans une perspective presque hagiographique, avec des incursions dans le merveilleux, le fantastique, j’ai en tête La légende dorée de Jacques de Voragine. J’aimerais réinvestir la figure héroïque de l’artiste, loin des clichés du peintre bohème, ou du cynique vendu au marché. (...)J’écris souvent des textes pour des artistes, c’est quelque chose qu’on me demande fréquemment, pas des choses théoriques, plutôt des fictions, des chansons, des poèmes. Je m’apprête à faire un genre de générique de fin pour la monographie d’un artiste que j’aime beaucoup."
Une femme qui passe n’a pas vu mes écouteurs ; elle pense que je parle avec moi-même et sourit.
Le soir, je lis Un blanc de Mika Biermann, le récit polyphonique d’une expédition catastrophique au pôle Sud par chacun de ses membres. Au milieu du livre, un des personnages trouve un livre gelé intitulé La boue. Il fond peu à peu, et le type perdu sur la banquise peut enfin lire.
Jeudi 5 septembre
Aujourd’hui, je rencontre Hélène de la bibliothèque Marguerite-Duras pour discuter d’un éventuel atelier avec les lecteurs malvoyants qu’elle accompagne. Elle a une voix si captivante qu’en l’écoutant on pourrait presque oublier de voir. Dans un coin de son bureau, il y a une couverture étalée sur le sol, et recouverte des poils blancs d’un chien absent ce jour-là. Je n’ose pas demander pourquoi. J’imagine un gros labrador blond.
Avant l’arrivée du groupe auquel je vais présenter mon projet, Hélène me conseille de signaler tout ce que je ferai : par exemple de dire où je m’assiérai, où je poserai ma tasse, de prévenir quand je m’en irai. Après un long moment avec eux, je constate combien la conversation est plus douce lorsqu’on formule aux autres chacun de ses gestes. J’ai un peu envie de fermer les yeux.
Je leur propose qu’on réalise ensemble un audioguide du lieu : une voix dirait au visiteur ce que l’on entend, touche, sent et imagine dans cette bibliothèque. Tout, excepté ce que l’on voit : un peu l’inverse d’un audioguide habituel.
Lundi 9 septembre
Aujourd’hui, a lieu le « Café de bienvenue » pour les artistes en résidence à la Villa : il y en a dix, plus les trois salariés, et les six coordinateurs permanents. Je leur présente mon projet de revue « La Belle Vie ». La « belle vie » c’est ce que les gens imaginent parfois de leur vie d’artiste, heureuse, insouciante, ce sur quoi je vais me pencher cette année pour écrire L’Œuvre (une biographie d’artiste imaginaire - mon projet de roman), et puis aussi la vie que je vais mener moi en résidence cette année. Je parle de petites annonces, d’horoscope, je bafouille. En partant je me dis que jamais aucun d’eux n’aura envie de me proposer un texte. Alors j’imagine sur mon vélo des entretiens : toutes les questions que je n’oserai pas poser.
Vendredi 13
Je rencontre Sophie, la prof de français des premières avec lesquels je vais travailler à partir de mi-novembre. Contrairement à Francine, elle ne semble pas avoir l’intention de faire lire mes livres aux élèves. Je me demande un peu pourquoi - elle n’y a pas pensé ? est-ce à cause des scènes un peu trop osées de Vierge, trop grotesques de Grotte ? Elle me parle de ce qu’elle lit, de la rentrée littéraire.
À la librairie en face du café, j’achète Un monde horizontal de Bruno Remaury, avec l’idée que peut-être Hic est un roman vertical. Je pense au film de Guiraudie que j’adore et dont j’ai justement emprunté un livre à la médiathèque : Ici commence la nuit.
Lundi 17 septembre
Je commence à travailler le texte de Hic avec la préparatrice du Seuil. C’est le roman qui paraîtra en janvier, que j’ai écrit entre Ivry et Wellington, un texte qui commence dans un futur proche pour remonter jusqu’au Big Bang, le centre de la Terre, au milieu du livre et repartir dans l’autre sens, vers les antipodes. C’est la même préparatrice que pour Vierge et je me réjouis énormément de travailler avec elle à nouveau. J’ouvre le fichier avec ses première remarques. Première page, on est en 2036, le personnage allume la chaudière et se déshabille pour prendre un bain. E.L. note : "l’eau a-t-elle vraiment eu le temps de chauffer ?" je réponds : "Remplacer la chaudière par un chauffe-eau". Les périodes paléolithique, lutétien, etc n’ont pas de majuscule, ça m’étonne. Elle me propose d’écrire "les livres de sa mère écrivaine" au lieu "des livres de sa mère écrivain". J’hésite puis je refuse.
Le soir, je relis une partie des notes prises lors de ma résidence en Nouvelle-Zélande ; je trouve une citation de Cadiot, extraite du Tome 1 d’Histoire de la littérature récente : "Le plus difficile c’est de superposer l’histoire avec la géographie".
Mardi 18 septembre
Troisième rendez-vous à Marguerite-Duras. Spécialisée en art, cette bibliothèque dispose d’un fonds important de monographies et d’une collection de livres d’artistes. C’est pour ces derniers que je suis là. J’avais eu l’occasion en juin d’en consulter une sélection, constatant combien le terme pouvait porter à confusion - réunissant des livres brodés et des fanzines. Certains ouvrages, trop précieux ou paresseux, sont vraiment décourageants. Je suis tombée aussi sur Codes un livre empesé de Roubaud et Kawara, édité par Yvon Lambert : "Parfois après tant d’années je me demande/descendant remontant la rue je me demande/Avec incompréhension je me demande(...)/ Après tant d’années,/pourquoi "
– ces lignes de Roubaud quand même, c’est la beauté.
ça me rappelle ces lignes de Philippe Adam que j’écoutais en boucle cet été :
Aujourd’hui, je présente aux bibliothécaires mon projet d’atelier pour adolescents : imaginer la vie d’un artiste fictif, ses œuvres et les aléas de son existence.
"Un signe dans l’espace"
Il y a quelques jours, j’ai attrapé pour le lire Cosmicomics dans ma bibliothèque. Cet exemplaire a appartenu à Gérard Genette, il est dédicacé à son attention par Italo Calvino.
En octobre 2016, des proches ont en effet acheté une vieille maison, à Saints- en-Puisaye ; je découvrais en la visitant qu’elle avait appartenu à Gérard Genette. Quelques jours plus tard, je signais au Seuil pour la publication de Vierge dans la même collection que lui, Fiction&Cie. Les nouveaux propriétaires m’ont alors donné la plupart des livres qui occupaient les bibliothèques, dont Cosmicomics. Je l’ouvre au hasard : "Tout en un point".
Mardi 25 septembre
Première rencontre avec les terminales du lycée Maximilien-Vox. Ils sont treize ; tous ont lu Grotte et presque tous ont quelque chose à en dire. J’ai l’impression que beaucoup ont un petit sourire aux lèvres en l’évoquant.
L’une d’entre eux me dit qu’elle a trouvé mon livre « perturbant ». Aucun ne dit "étrange", "bizarre", aucun ne parle d’Ovni, encore moins d’Olni.
Je leur ai apporté Vierge, Œuvres d’Édouard Levé et L’Œuvre de Zola. Ils feuillettent le second avec pas mal de curiosité. Amalia prend Vierge, et quelqu’un d’autre prend le Levé. Je leur explique combien Zola mérite d’être lu et relu. Combien son oeuvre va bien au delà du réalisme, très social, qu’on lui prête. Il y a dans chacun de ses livres, des épiphanies absolument métaphysiques qui me bouleversent. Il peut s’agit d’une seule phrase.
J’explique le principe de la résidence, mon projet de roman et le nouvel éclairage que les ateliers et la revue devront porter sur les liens entre littérature et arts plastiques aujourd’hui. Je leur parle rapidement des textes que j’ai écrits pour des artistes récemment : celui de Thomas, auquel je réfléchis en ce moment.
Je conviens avec eux qu’en plus de nos séances de travail hebdomadaires, on échangera par mail durant tout le mois d’octobre.
En rentrant, sur mon vélo, je pense au sens des ces ateliers, à ce qu’on pourrait faire ensemble. Souvent je doute un peu, non de leur utilité dont je me soucie peu, mais plutôt de leur justesse, de ma position. Évident pour moi qu’il ne s’agit pas seulement d’écrire, et que de ce point de vue, je n’ai rien à "leur apprendre" durant ces séances, mais de créer les conditions d’une intelligence commune des choses, du monde, par la littérature.
J’ai beaucoup de rendez-vous. Je ne parviens pas à retenir tous les prénoms, j’en découvre des nouveaux - ceux des lycéens sont extraordinaires ; ça doit être le fait d’une génération. Je mélange les visages, leurs noms, les voix. Je m’aperçois combien en temps normal je rencontre peu de gens.
On m’appelle parfois madame.
Lundi 24 septembre
Un coursier dépose les premières épreuves de Hic.
tadam
[mercredi 26 septembre
À moi
Bonsoir Amélie,
Grand mystère que celui de l’exemplaire de « Œuvres » de Levé. J’étais persuadée de l’avoir emporté pour le lire. L’auriez-vous repris ?
Ci-dessous la photo de la classe.
De gauche à droite :
Iris, Amalia, Than au premier rang
Tigrane, Mateo, Feryel, Luna, Fanny au second rang
Leda, Alice, Lili
Et au fond, Hyacinthe et Louise.
Nous manque Chimene la brune.
Francine
À Francine
Ah non Léda et Alice ont eu envie de le lire ; je les ai laissées l’emporter. Je pensais que vous aviez vu !
Personne n’a voulu du Zola.
Merci pour le trombi.
28 septembre
À Lili
On s’est rencontrées la semaine dernière : je suis Amélie, l’auteure avec laquelle tu vas travailler ces prochaines semaines dans le cadre du cours de madame Geidel.
Eva ***** ne pourra pas être là mardi mais tu peux lui écrire et poser tes questions par mails. Elle est en tournage jusqu’au 6 , donc peu dispo mais elle essaiera de te répondre au mieux.
Voici son adresse : *****@gmail.com
Bon week end à toi.
À moi
D’accord merci beaucoup !
À Léda
Anne-Lise *** ne pourra pas être présente demain.
(...)
Voilà voilà.
A demain
Tu peux aussi choisir un autre artiste dans la liste de ceux qui seront présents demain,
mais dans ce cas, tu dois préparer des questions ce soir
À moi
Bonsoir,
Merci votre mail, je vais essayer de l’envoyer mes questions le plus tôt possible !
A demain
Leda
À Fanny, Tigrane, Feryel, Louise, Hyacinthe, Luna, Hyacinthe, Than
Bonjour à tous les 7,
Vous avez de la chance : les artistes que vous vouliez rencontrer seront présents demain. Préparez vos questions !
bien à vous,
Amélie ]