L’enfance en scène

Deux souvenirs de mon enfance

J’ai eu deux souvenirs douloureux dans mon enfance.
Le premier : quand ma sœur aînée disparaissait dans un fleuve, près de mon village.
Voici la scène en question.
Elle, ma sœur, était allée puiser de l’eau avec sa demi-sœur dans le fleuve qui passait derrière la maison familiale. Et au retour, elle s’est rendu compte qu’elle ne s’était pas baignée. Elle a donc dit à sa sœur : Je retourne me baigner. Elle revient donc au fleuve, et je parie qu’elle n’a même pas eu le temps de se laver, le fleuve l’emporta.
Sa demi-sœur arrivée à la maison, les parents lui ont demandé où était sa sœur. Sans hésiter, elle a dit qu’elle se baignait au fleuve. Après une longue attente, les parents se sont levés pour aller à sa recherche, une recherche qui n’a rien donné puisqu’ils sont rentrés sans elle.
Et c’est après, j’imagine, des heures que mon beau-père s’est levé à son tour et est allé au fleuve. Il a jeté un morceau de bois dans le fleuve, et pendant que le morceau de bois avançait, il le suivait, et à un niveau, le morceau de bois s’est arrêté et lui aussi fit la même chose. Et lui dans sa pensée, il s’est dit qu’à cet endroit-là, il devait y avoir quelque chose. Et il plongea la main au fond de l’eau et il retira le corps de l’enfant.
À l’époque, j’avais cinq ans, et c’est à dix ans que ma maman m’a raconté la scène.
Et depuis ce jour, cela est resté dans ma mémoire et ne m’a jamais quitté.
Et c’est quand j’ai dépassé la vingtaine que j’ai compris que je n’allais jamais la revoir.
Je me demande toujours pourquoi Dieu m’a privé de cette connaissance.
Là était mon premier souvenir le plus marquant de mon enfance.

Le deuxième, c’est la séparation de mes parents, c’est-à-dire de mon père et de ma mère. Je me souviens bien. C’était en juin 1980, je faisais le cours élémentaire deuxième année. Un mardi, alors que je rentrais de l’école, mon père me dit : Va retrouver ta mère. Je lui demande où et il me dit : Fais comme je te demande.
Comme je savais que ma mère avait son oncle dans un village voisin, je me suis dit : Sûrement elle est allée chez son oncle.
Ma mère, me voyant venir, est tombée en sanglots. Je n’ai pas demandé ce qui s’était passé à ma mère car je connaissais mon père. C’est lui qui avait tort.
Cela m’a beaucoup marqué et j’ai fait des années sans le voir.
Et la dernière fois que je l’ai vu, deux ans après, il est mort.
J’aurais bien voulu les réconcilier.
Car je les aimais beaucoup.

André




Rue Sainte-Catherine

Mes cinq ans se résument à un appartement situé au 5e étage d’un immeuble ancestral. Pour accéder au logement en lui-même, il fallait ouvrir une porte donnant sur un couloir sombre comme un crépuscule naissant. La nuit était épouvantable car ce couloir donnait accès au WC turc, endroit propre mais glacé été comme hiver.
Ma mère sortait de sa poche une clef énorme pour ouvrir l’huis du logement. Ce qui étonnait les rares visiteurs était les 3 pièces grandes, spacieuses mais vieillottes. Moi, je ne m’en formalisais pas, du haut de mes cinq ans, tout cela était normal, même si la température ne dépassait jamais les 18 degrés en été.
Puis un soir, mon père entra à la maison en souriant après une journée de dur labeur. Personnellement, je n’en ai aucun souvenir, mais ma mère me l’a raconté maintes et maintes fois. Mon père avait pris contact avec l’office HLM de l’époque pour un appartement vaste pouvant accueillir ses six enfants. Cela ne prit qu’une trentaine de jours pour pénétrer dans un lieu idyllique. D’une rue sombre et nauséabonde, nous passions à une avenue pleine de lumière et de charme.
Ma mère aimait m’énumérer les pièces. D’abord, celles qui comportaient un plancher. Donc 4 chambres, 1 salle à manger, 1 petit salon, puis toutes les autres en carrelage. 2 salles de bains, 2 WC, 2 grands couloirs, 1 cuisine et sa buanderie.
Mes parents dans ce temps-là étaient heureux, trop peut-être. Qui refuserait vingt ans d’allégresse ?
Pour mes dix ans, ma mère me prit à part et me dit : Ce luxe provient du jeu ou si tu préfères du tiercé. Ton père joue gros, très gros, chaque dimanche. On peut rester au soleil ou revoir l’ombre. Pour l’instant, l’astre solaire est bougrement chaud, et je pense qu’il le restera encore un peu.

Joël

Extraits de l’atelier du 7 novembre 2011.
© Tous droits réservés pour les textes.

19 novembre 2011
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