Prologue pour une résidence d’écriture

Des ruines…
La liesse et l’oubli.

Poser l’écriture, se retourner sur soi, interroger le pourquoi d’une résidence, un temps de silence...


Extrait 1.

Prendre espace quand tout est ruine autour de soi. Je me retourne sur ma mémoire. Ma mémoire est du plus loin que je la ressens de douleur et d’espérance. A chaque fois renouvelée, à chaque fois la même, de douleur et d’espérance. Et ma mémoire est d’esclavage, espérance de liberté. Et ma mémoire est de colonisation, espérance d’indépendance. Et ma mémoire est d’indépendance, la liesse et encore l’espérance trahie sur le règne des dictatures et autres impostures.
Sur le temps, je me retourne, c’est ainsi que je me vois, je suis fatigué d’espérer, mes mots essaimés tout le long mon espérance, mes combats, je retiens mon souffle de peur de les rendre soupirs, je chuchote, je murmure, et l’on me félicite de l’originalité de ma langue, « novatrice », « flamboyante », « lyrique », « violente »… je parlais d’une douleur, de ceux qui y sont encore, dans la douleur, je parlais d’une révolte, j’amasse les honneurs pour m’être si bien exprimé…

Maintenant, nous applaudissons…

Applaudissons !

Ma langue belle pour l’enfant suicide…

De là où je murmure, mes ruines sont magnifiques. Je suis ruine de cette mémoire quand tout s’est effondré, quand le reste n’est plus que restes…

Ne suis que vestiges, ce qui tient encore debout d’un pays qui ne fut pas, d’un pays qui n’est pas, d’un pays qui ne sera peut-être pas. Et je garde le doute –peut-être, car c’est là mon pays, le possible, l’imaginable, mais qui n’est pas encore… Je ne sais pas s’il le sera un jour. Si de mon vivant… A-t-il jamais existé ? Ruines avant d’être bâti, bâti sur rêves, l’utopie aux murs de tempête, mes colonnes s’érigent dans l’œil du cyclone.

En attendant, j’énonce que tout est imposture car trop peu fut dit, et trop fut affirmé, affirmé que ma mémoire est d’humanisation, que ma mémoire est de pacification.. Non, ça ne passe pas… humanisation, action de rendre humain, n’étais-je pas humain, ne suis-je pas humain, m’apprendre à être humain ? Non, ça ne passe pas, pacification, que ma mémoire est de science, que ma mémoire est de progrès. Humanité. Paix. Sciences. Progrès. Belle peinture. Réellement. Belle peinture. Humanité. Paix. Sciences. Progrès.
Acceptez que je retrace mon histoire : me rendre humain, me sortir de la géhenne et me doter d’âme. Monstre hideux, me décimer pour l’ordre et la paix, et au bout de ma décapitation, me libérer, m’inculquer la science et la culture –ce qu’il faut que je comprenne, m’amener à progresser, à émerger, à rejoindre le rang de la civilisation, à me démocratiser…
Me voici devant vous.
Combien de civilisation m’a-t-on vendu sur la mort des miens ? Combien de démocratie sur des massacres et des génocides ? Non. J’ai à oublier. Juste à oublier. J’ai à oublier l’égrène du temps et les bourgeons des révoltes écrasés. J’ai à oublier l’heure où la fin a commencé. J’ai à oublier les humeurs qui ont suinté de ma terre désagrégée, de mes terres, de ma chair. Oublier. Oublier Moramanga. Oublier Manakara. Oublier Ambiky. D’ailleurs, Ambiky, Manakara, Moramanga, cela ne dit rien à personne. Et ma terre et mon île. Et les mauvaises choses qui m’imprègnent et les mémoires fétides. Je n’ai pas à énumérer toutes ces mauvaises choses. Je n’ai même pas à énumérer le nom de ces pays autres où les récits se sont fendillés en troubles échos. Congo, Guinée, Rwanda, Somalie… autant de tragédie mauvaise à la bouche. J’oublie ma peau, et l’eau de plaie qui y coule n’est que l’eau de pluie que j’espère depuis tout longtemps.
L’eau de pluie.
L’eau de pluie…
Pensons à l’avenir et QUE VIVA la liberté belle et les choses positives. Je vis ! Sur autre que malheur ! Sur autre que foutre rien ma mort ! J’en ai assez de toute cette victimisation chronique…

Et maintenant, nous applaudissons !

27 juin 2010
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