Septembre, en attendant

Ce journal se veut une sorte de making off de ma résidence à Saint-Denis. S’y mêleront des récits de mes pérégrinations, et des interrogations sur le livre en train de s’écrire, des anecdotes... L’esquisse d’une cartographie alternative, dans un projet axé autour de la ville en devenir.

J’ai inauguré ma résidence à Saint-Denis en achetant un vélo. Un Peugeot d’occasion, vélo de femme classique, couleur lilas métallisé. À moi le canal qui relie directement le Pont de Flandres, non loin de mon quartier parisien, à la gare RER de Saint-Denis. La, je ne suis plus qu’à quelques encâblures du 6b, encerclé par l’eau. La Seine, sur laquelle donne mon bureau nid d’aigle au sixième étage, et le canal qui s’échoue de l’autre côté du bâtiment, où subsiste, en ce début d’automne, la plage aménagée pour les événements de la Fabrique à rêves de l’été. [1]

Donc, plusieurs fois par semaine, profitant de la douceur exceptionnelle de l’arrière saison, je sillonne les 6,6 kilomètres de la rive droite du canal ( et ne suis pas peu fière de mes nouvelles habitudes sportives). Quelques aller-retours et je connais les balises du parcours. Depuis le pont de Flandres, en cinq minutes, je suis au bord de l’embranchement de la darse pour Le Millénaire, centre commercial ouvert en grandes pompes (mais sans grand succès) à Aubervilliers. J’y ai imaginé une partie de l’action. Puis les deux zones où le lisse de la piste laisse place aux pavés, près des bennes de ferraille, et qui voient, le soir, une population récupérer ce qui pourra l’être.

L’A 86 m’indique la frontière entre Aubervilliers et Saint-Denis. Je reste chaque fois un peu fascinée par ces No man’s land que sont les dessous d’autoroutes, et où précisément une population à laquelle on dénie l’humanité trouve refuge.

À Saint-Denis, même si des travaux brouillent la piste, le canal se fait plus aménagé. Plus de crainte d’abîmer mes pneus sur terrain accidenté. Au demeurant, les bords voie d’eau que curieusement, la cartographie des pistes cyclables ne repère pas, offre un curieux mélange de volontarisme aménageur et d’appropriation populaire. Quelques pancartes historiques présentent l’histoire des quartiers, aux côtés d’engins de musculation où les ados s’amusent et où les ados roulent les mécaniques. Et puis, il y a l’autre rive, plus sauvage, celle-là. Le lieu des chantiers frénétiques, du Stade de France, mon repère de presque arrivée, du quai final devenu le havre de quelques tentes aux sans-abris...

Le canal brouille mes plans par l’attraction qu’il exerce. dont je ne suis pas seule à subir la puissance. J’y croise des joggers, des mères, des enfants, des vieux, des cyclistes. Des solitaires un peu largués, aussi, flânant en une quête inconnue. J’avais logé mes deux héros principaux à Bagnolet, ils vont probablement déménager. En fait, l’intrigue pourrait tenir dans un mouchoir de poche délimité par l’eau et de quelques impasses transversales autour d’elle. Ou naviguer d’une ville à l’autre. Ou servir de base à des cités fictives, qu’il ne relie pas. Vais-je opter pour le réalisme géographique ou l’invention d’une nouvelle cartographie ?

Le moment où j’aurais aimé mettre mes pérégrinations en images est celui où l’objectif de mon téléphone choisi de me lâcher, irrémédiablement rayé. Les images seront floues. Comme le sont encore mon intrigue et les trajets de mes personnes.


P.S. Le titre est emprunté à une chanson de Noir Désir. Est-ce un hasard si de radieux septembre ont inspiré deux chansons que j’adore, celle-ci et September song de Bertolt Brecht/ Kurt Weill dans la version de Lou Reed ?

3 octobre 2014
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[1(Manifestation artistique annuelle en plusieurs événements organisée par le 6B depuis quatre ans).