Un mot, c’est tout ce dont vous avez besoin

Au début, ce n’était rien. Peut-être une petite chose informe et sombre qu’on pensait évanescente. Une volonté innocente de participer àla conversation, avoir quelque chose àdire quand les sujets pertinents manquent et que le peu de culture appauvrit les échanges. Vouloir absolument éviter les blancs, quitte àdire tout et n’importe quoi….surtout n’importe quoi. Et puis il y avait sà»rement cette petite jubilation perverse àdétenir une information que personne d’autre n’avait et que donc, tout le monde désirait. Être enfin au centre des attentions.
Vous attendez que je lâche la bombe, n’est-ce-pas ? Vous attendez l’os àronger jusqu’àla moelle ? Vous êtes enfin pendus àmes lèvres. Eh bien voici la bête : je ne sais pas grand-chose, j’ai sà»rement mal compris la situation. Un mot échangé au loin, une déformation, une exagération, une explosion ! Et voilàqu’elle retombe en mille morceaux dans les oreilles de tous comme un téléphone arabe opérationnel.
Et maintenant que la récolte est faite, repartez tous dans vos demeures et faites en une bouillie. Une bouillie qui cale bien, une bouillie qui gave bien. Une bouillie qui nourrit et rend malade àla fois. Vous êtes remplis oui, mais remplis d’airs et de gaz. C’est souvent ce qui arrive quand on se sustente des ouï-dire.
Mais, il faut l’avouer, c’est tellement plus agréable que le factuel, l’empirique, ce qui est prouvé scientifiquement. Voilàune nourriture bien fade. Un steak de tofu quand on vous propose une pièce de bÅ“uf saignante. Alors peut-être est-ce plus éthique. Soit ! Mais je ne mange pas avec ma morale.
Rajoutes-y un peu de glutamate et je ferais ce que je peux en faire. Parce que maintenant, j’ai tout une populace. Plus le temps de revenir aux origines, plus le temps de savoir sur quel terreau la graine avait poussé, ce qui l’avait engendré. Bientôt j’opérerai au niveau national, voir au-delàdes frontières ! (le typhus chez les indiens d’Amérique n’aura pas fait mieux).

Alors oui bon, des gens peuvent être heurtés, blessés... soit ! Mais est-ce seulement ma faute ? Après tout je n’ai dit qu’un mot, un seul mot ! Et voilàque la lame tranchante tout àcoup s’abat dans un grand fracas. C’est vrai que parfois il suffit d’un mot et c’est l’abattage en masse, l’abattage social.
Mais de toute façon, comment l’effacer ? Comment revenir en arrière ? Je ne me rappelle même pas quand ça a commencé ? Comment ? Une curiosité ? Une incompréhension ? Une boutade déformée ? Peu importe maintenant, je suis là. Et c’est peut-être pour le mieux non ? Moi aussi je pourrai être une vérité. Peut-être pas LA vérité mais qui s’en soucie ? Je suis plus plaisante, plus appétissante. Je nourris plus et plus vite. Je fais d’un sacrifice un bonheur commun. Et si je suis la faute de tout le monde, je ne suis la faute de personne. Nous ne pouvons pas tous être bourreaux après tout.

Comme disait, jadis, un homme instruit, si un tableau est trop maussade retournez-le, si une lecture est trop éreintante, lisez-làde droite àgauche. Peut-être deviendra-t-elle une œuvre d’art. Avec une touche d’imagination et un soupçon de mauvaise foi, tout prend.
Et la rumeur d’aujourd’hui, sera la vérité de demain.

Solweig Cicuto

16 janvier 2017
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