Complexe /1
Tout au long de l’année 2020-2021 j’ai animé un atelier d’écriture à destination de lycéens du cinquième arrondissement de Paris – au lycée Lavoisier plus précisément. A force d’échanges avec Sylvie Cadinot-Romerio, un thème s’est imposé : les complexes qu’on peut avoir. Notre idée : ne pas leur supposer une arrogance qu’expliquerait un certain confort de vie, ou le fait d’être élèves d’un lycée des beaux quartiers. Notre idée : tendre l’oreille pour entendre ces voix embarrassées qu’on ne soupçonnait pas – vivre dans le Quartier latin ne protège pas de l’inquiétude.
Notre idée : qu’ils écrivent sur les complexes qu’on peut avoir, ces adultes en devenir ; qu’au moyen de la littérature ils interrogent le regard qu’on porte sur soi, et le pouvoir qu’ont les autres sur nos complexions intimes. Tout en restant attentifs à l’antidote qui trame leurs fictions : le désir de ne pas en rester à ce qui étrangle la vie, le désir de se projeter et d’inventer.
Les textes qu’ils ont écrits vont être publiés, par les éditions Joca Seria. Pour cette raison nous ne pouvions en publier quelques-uns sur remue.net ; il nous fallait inventer une extension de l’atelier. En nous essayant à un autre type d’écriture ? En réalisant de courtes vidéos ? Pourquoi pas, oui.
J’ai donc posé trois questions à celles et ceux qui m’auront accompagné tout au long de l’année, en les invitant à exprimer les sentiments ou les idées que mes propositions d’écriture auraient écartés au cours de nos rendez-vous hebdomadaires. Que ces vidéos soient l’occasion de propos moins dirigés, plus singuliers.
Accepteront-ils d’être filmés ? Non. Ai-je eu alors l’impression que nous étions toujours en train de travailler la question du complexe ? Peut-être… « Mais alors que filmer ? » me suis-je demandé en les attendant près du jardin du Luxembourg. La réponse m’a été servie sur un plateau par le jardin lui-même, où se trouvent tant de statues de reines ou de figures historiques représentées en majesté. Des corps glorieux, au maintien plein d’assurance. Avec eux nous étions loin des corps complexés auxquels nous venions de constituer, par l’écriture, quelque chose comme un abri.
Mais ces premières vidéos n’étant pas réussies, nous en avons tourné d’autres, en différents endroits de la région parisienne. Et il est apparu que ces corps glorieux ne l’étaient pas toujours : des blessures ou des difformités apparaissaient, qui humanisaient le calcaire et nous ramenaient à l’endroit exact où nous avions cherché à nous trouver au moyen de l’écriture : cette zone grise où tout s’avère complexe, où plus rien ne relève de l’évidence et du jugement. (Regardez la vidéo dans laquelle nous tournons autour de Jules César : un pigeon lui chie sur le crâne en toute impunité.)
Écoutez Meltem, écoutez Gaëlle, Violette ou Hector, écoutez-les tou(te)s : tour à tour sincères, justes ou surprenants et épatants, ces jeunes femmes et ces jeunes hommes semblent déjà savoir ruser avec ce qui entrave ou diminue.
Arno Bertina
Clara
Etienne
Gaëlle 1
Hector 1
Gaëlle 2