Microfictions
L’autre jour, à Nice, elle regardait le feu d’artifice, c’était le 14 juillet. Elle était seule dans la foule. Elle voulait contempler ce feu d’artifice au bord de la mer. Elle était heureuse mais quelque chose l’a forcée à rentrer chez elle. Mauvaise ambiance de foule. Agitation. Un drôle de pressentiment qui a sauvé sa vie.
L’autre jour, à Paris, au 39 rue des Montibœufs, du haut de mon balcon à 19h15, la vieille dame qui promène toujours son chien à cette même heure n’est pas passée.
L’autre jour, à Paris, il faisait bon. Je me baladais dans la rue lorsqu’un grand cri a surgi de la fenêtre d’un immeuble. Et puis, plus rien.
L’autre jour, à Paris, entre le 16 et le 20 de la rue de Clichy, une femme d’environ soixante ans, les pieds nus, en peignoir rose et les larmes aux yeux, courait derrière un camion poubelle en tenant dans ses mains un carton rempli de photos.
L’autre jour, à Paris, devant une boulangerie du 17e, une petite fille qui semblait avoir cinq ou six ans a donné du pain à une dame dans la rue et, en regardant son chien, a dit : « C’est pour votre bébé, Madame. »
L’autre jour, à Asnières-sur-Seine, un type va à sa fenêtre, pour fumer, sa vingtième clope de la journée. On ne connait rien de lui. Bribe de vie par une fenêtre. Type basique sans grande histoire, enfermé sans doute dans son appartement pour travailler, Covid oblige. Les lumières sont éteintes. Il tire sur sa cigarette non pas par plaisir, mais par besoin vital, pour respirer. Main droite dans sa poche, avec un geste vif et précis de son autre main, il écrase sa cigarette sur le mur et replonge dans l’obscurité de sa cage. Fenêtre fermée. On ne le voit plus.
L’autre jour, à Asnières, le rire d’une femme se fait entendre au travers des murs, si fort que j’ai cru qu’il me transperçait. Puis, le silence. Plus aucun bruit, même ma petite voix intérieure avait disparu.
L’autre jour, à Lausanne, soirée avec des amis. Je participe à un pari, je le perds. Pour la peine, on me rase les cheveux. Mon pote qui s’était improvisé coiffeur s’enflamme et fait de même avec mon sourcil. Au point où on en était, autant égaliser. Plus un poil sur le caillou. Le lendemain, dans les transports pour regagner mon chez-moi, autour de moi, des regards compatissants. Une dame âgée s’approche et me dit : « Courage, jeune homme, je suis moi-même passée par là, deux fois », en posant ses mains sur sa poitrine.
L’autre jour, à Oslo, vingt-sept minutes avant l’heure zéro, toutes les lumières se sont mises à clignoter, tous les chiens à aboyer et toutes les radios à s’allumer.
L’autre jour, à Paris, rue de l’Orillon, sur un fil électrique, une chaussure accrochée attend sa sœur.
L’autre jour, à Paris, une lettre s’est envolée du 6e étage rue du Soleillet. Elle a survolé le Bistro des Amis, s’est posée quelque temps à côté de Vincent et de son allongé, puis le vent l’a récupérée et l’a déposée sur la branche d’un marronnier. Un écureuil qui passait par là l’a délogée, alors elle s’est envolée vers le cimetière du Père-Lachaise. Là elle s’est installée délicatement aux pieds d’une jeune fille qui était en train de pleurer. La jeune fille a lu la lettre, un sourire a traversé son visage, puis elle s’en est allée, sa journée égayée.
L’autre jour, à Paris, j’ai eu besoin de peindre en vert vif « Vive le doute ! » en très grand sur mon mur.
L’autre jour, à Saint-Denis, j…˜ai eu besoin de peindre un trait rouge qui traverse ma chambre pour m’aider à penser.
L’autre jour, à Paris, j’ai eu besoin d’écrire une grande lettre d…˜amour au feutre orange sur mon mur, de la taille du mur, pour Antoine. Pour que la lettre existe à vie.
L’autre jour, à Paris, j’ai dû repeindre entièrement de blanc l’appartement pour que les prochains locataires soient dans du neutre.
L’autre jour, à Saint-Denis, j’ai écrit à la peinture phosphorescente une phrase en allemand, sur un autre mur, pour faire une surprise à Antoine.
L…˜autre jour, à Saint-Denis, j’ai recouvert la peinture phosphorescente d’une peinture bleue très belle.
L’autre jour, à Courbevoie, rue de Bezons, madame Barrel, soixante-dix ans, entre dans la boulangerie du numéro vingt-quatre, cagoule sur la tête, demande une tradition, un pain aux raisins, et une sucette à l’anis.
L’autre jour, à Rodmell, un village de campagne du Sussex, une femme (maigre) se tenait assise sur une minuscule chaise, dans un minuscule cagibi bercé de soleil, devant une minuscule table. Elle se tenait assise, dans cette minuscule pièce, au bois défraîchi, et se tenait la tempe gauche avec sa paume. La pression de sa paume sur sa tempe formait sur son front quatre minuscules rides et, à bien observer, l’on eût dit qu’elle avait une fourchette enfoncée dans son crâne, sous sa peau. L’autre jour, à Rodmell, un village de campagne du Sussex, une minuscule femme se tenait assise, et avait une fourchette enfoncée dans son crâne, sous sa peau.
L’autre jour, à Roissy, un taximan a acheté un billet d’avion sur un coup de tête. Un vol pour Tokyo qui partait dans 3 heures. Sans valise ni sac à dos. Il avait toujours rêvé de voler. Avant l’arrivée de la dépanneuse, son taxi resta près de deux heures garé à l’abandon devant le dépose-minute.
L’autre jour, à Tokyo, un touriste sans valise s’achète des vêtements neufs.
L’autre jour, à Wuhan, un pangolin a décidé de se venger.