Lettre à...
Que nous transmettent nos parents ? Après avoir écrit un texte libre sur un membre plus ou moins éloigné de leur famille, les 48 élèves de seconde du lycée Feyder ont réfléchi à ce qu’ils aimeraient exprimer à un parent proche. Il n’est jamais simple d’écrire une lettre. Il y a quelque chose de très intime à interpeler l’autre sans le voir. A se le représenter dans sa tête, debout face à nos mots. Chère Maman. Cher Grand-Père. Soudain, on chuchote à une oreille présente absente et tout semble personnel, confidentiel, sensible. On n’a pas l’habitude de se parler ainsi. Ce qui m’intéressait dans cet atelier, c’était de faire cheminer chaque adolescent sur le fil de son héritage. En quoi ressemble-t-il un peu beaucoup pas du tout à son père ou à sa mère ? En quoi est-il différent ? Sur quel socle de valeurs et de souvenirs peut-il s’appuyer pour grandir. Avec beaucoup de courage, tous se sont prêtés au jeu…
Chère Maman,
Je te ressemble quand je partage avec mes frères et mes sœurs, car tu es très généreuse comme quand tu nous offres de jolis cadeaux. Quand je me vois dans le miroir, je reconnais le même regard doux aux yeux foncés.
Mais je suis différente de toi car je ne déborde pas d’énergie dès 7H du matin. Je suis douce et ne m’énerve pas pour un rien comme toi, quand la vaisselle n’a pas été faite. Je suis différente de toi car tu n’aimes pas écouter les mêmes musiques que moi. Je suis différente car, parfois, tu préfères mettre de belles robes et moi des joggings.
La dernière fois que je t’ai vue, c’était hier soir dans notre salon aux murs blancs, décoré de photos de famille, de grands rideaux transparents et d’une belle table. Nous étions en train de manger en regardant la télé et nous discutions de notre journée. J’étais fatiguée car c’était la fin de l’après-midi.
Calista
Chère Maman,
Je te ressemble parce que je suis ton fils et qu’on a beaucoup de choses en commun, comme la religion chrétienne que l’on partage quand on prie ensemble le soir. Je te ressemble car on a le même nez, alors que Papa a un gros nez. On a aussi le même style vestimentaire, c’est pour ça que pour moi tu es toujours belle.
Mais physiquement, on est différents, car je ressemble à Papa et que je suis plus grand que toi.
La dernière fois que je t’ai vue, c’était ce matin à 10H, dans les escaliers de notre bâtiment. Tu allais au marché d’Argenteuil avec mon petit frère d’un an et demi. Je partais chercher sa poussette à la cave, il faisait noir, le temps était plutôt couvert, et je n’avais ni trop chaud ni trop froid.
Wesley
Cher Papa,
Toi et moi, on se ressemble car on a la même couleur de peau, noire, claire. On a aussi les mêmes cheveux, un peu bouclés et foncés. On est passionnés par le foot, même si on ne supporte pas la même équipe. Toi, tu adores Barcelone et moi Marseille. On n’a pas la même façon de s’habiller. J’aime porter des survêtements, mais toi tu préfères les habits un peu anciens. Tu as des lunettes comme maman, alors que mes frères, mes sœurs et moi, on n’en a pas besoin pour le moment. On mange tout pareil, des spécialités soudanaises et des plats basiques, comme des pâtes ou des frites. Tu te lèves très tôt, alors que moi, je me lève tard. Mais c’est parce que toi, tu vas te coucher directement après les matchs, tandis que moi, je traîne un peu sur Youtube.
La dernière fois que je t’ai vu, c’était hier soir avant que tu ailles te coucher. On regardait un match de foot à la télé, Manchester United contre l’Atlético Madrid, ensemble au salon, assis sur le canapé avec mon frère. Ce n’était pas une bonne soirée car mon équipe a perdu. J’étais triste et je suis parti me coucher directement sans t’adresser la parole.
Abdallah
Chère Mamie,
Nous sommes pareilles. Comme toi qui aimes les gens et donner la pièce aux SDF, je suis généreuse. Comme toi, j’aime ouvrir la fenêtre de bon matin même s’il fait froid car on aime bien renouveler l’air. Le samedi matin, quand tu me lèves tôt pour aller au marché, je te dis que ça me dérange et que je voudrais dormir alors qu’en réalité j’aime t’accompagner. Je trouve ça marrant. Les bons plats marocains qu’on cuisine ensemble nous rapprochent aussi, car tu me fais découvrir des épices marocaines et les plats que ta maman t’avait appris, petite. Pour finir, j’ai le même prénom que ta mère, Alya, qui signifie grande en arabe.
Mais tu es différente de moi, car tu es têtue. Quand papa te dit de ne pas prendre les transports en commun toute seule, tu ne l’écoutes pas. Tu as voulu faire l’armée, mais pas moi, car je ne trouve pas cela intéressant. Tu aimais bien jouer au foot avec les garçons quand tu étais jeune, alors que moi, je crains le ballon. Pour finir, tu aimes bien t’habiller en léopard, mais moi, je trouve que ces couleurs ne vont pas avec tout.
La dernière fois que je t’ai vue, c’était ce matin, dans ma petite chambre. Tu dormais dans mon lit superposé en métal gris. Tu étais en bas et Sofia en haut, dans ma couette beige en velours. Il faisait chaud et sombre. Il n’y avait pas de lumière du jour, cela avait l’air si confortable ! J’aurais aimé être à ta place.
Alya
Cher Grand-Père,
J’ai les mêmes cheveux que toi, Grand-Père, noirs et lisses comme une veste de soie. On a les yeux marron cacao. On a la même origine, toi et moi, marocains de Casablanca. On aime tous les deux le foot, sauf que toi, tu es pour Marseille et moi, pour le PSG. On est différents, car tu t’habilles souvent classe et moi, en ensemble de foot. Tu es très fort en espagnol et moi, pas très bon. D’ailleurs, tu me dis souvent des mots dans cette langue. Tu es petit comme mon oncle, ton deuxième fils, mais moi, je suis grand comme mon père.
La dernière fois que je t’ai vu, c’était le dimanche 6 février à 20H43 plus exactement. On était dans le grand salon de ton pavillon. Tu étais allongé en train de regarder la finale de la Coupe d’Afrique des Nations sur le canapé rouge aux motifs marocains. Tu m’as dit d’aller chercher un pack d’eau, je t’ai lancé une bouteille de Vittel, j’ai failli toucher ta tête, mais tu as esquivé. J’ai eu peur de te faire mal, mais, heureusement, tu as réussi à l’éviter.
Lofti
Chère Maman,
Je te ressemble car on a les mêmes grains de beauté au même endroit et on fait la même taille. On se ressemble aussi du fait que l’on possède la même couleur de peau marron. On se ressemble également car on partage la même origine comorienne, puisque Papa, toi et moi sommes comoriens. C’est important pour moi. Et on pratique, toi et moi, la même religion, l’Islam. Cela nous rapproche, car on prie tous les deux, on jeûne tous les deux, et on récite des sourates tous les deux. Enfin, on possède le même caractère, on est tous les deux généreux.
Mais je me différencie de toi du fait que l’on ne fait pas la même taille. Tu mesures 1,65 m et moi 1,72 m. J’aime le football et toi non, ce qui est compréhensible. On n’a pas non plus les mêmes goûts vestimentaires, car contrairement à toi, je n’aime pas trop les jeans. Par ailleurs, on n’écoute pas le même style de musique car tu aimes la musique qui met de l’ambiance comme les groupes africains. Et, pour finir, j’aime bien les jeux comme Clash Royal et Brawl Stars, alors que toi, tu préfères regarder des séries à la télévision comme Mentalist.
La dernière fois que l’on s’est vus, c’était ce matin, vers 8H. On s’est croisés dans le "couloir ”, entre le salon et la salle à manger, lorsque je suis descendu pour prendre mon petit-déjeuner. Tu te dirigeais vers la salle de bain, tandis que moi, j’allais à la cuisine.
Averroès
Cher Papa,
Je te ressemble dans le style de blagues que je fais. Je rigole aux mêmes choses que toi. Je rigole à tes blagues, tu rigoles à mes blagues. Mes cheveux ressemblent aux tiens lorsque tu étais jeune, ils sont aussi bouclés et marron foncé. Je te ressemble aussi dans mon intérêt pour les jeux vidéo, surtout lorsque nous jouons ensemble certains soirs, à Assassin’s Creed ou à GTA. Nous sommes tous les deux de mauvaise foi, nous avons souvent du mal à accepter d’avoir tort, et nous n’aimons pas être contredits. Nous aimons tous les deux les débats, le soir à table, et réagir à certaines émissions télévisées.
Mais je ne te ressemble pas pour ce qui est des cheveux. Toi, tu n’en as presque pas, parce que tu les rases, alors que moi, j’ai les cheveux mi-longs car je les laisse pousser. Tu n’aimes pas les tomates cerises dans les salades de Maman, alors que j’adore en manger avant les repas. Tous les matins, même le week-end, tu t’habilles dès que tu as pris ton petit déjeuner. Moi, au contraire, quand je peux, je prends mon temps. Tu portes souvent les mêmes vêtements, un jean et une chemise, parfois bleue, parfois blanche. Je n’ai pas du tout le même style vestimentaire et je suis presque tous les jours en noir.
La dernière fois que je t’ai vu, c’était ce matin, vers 8H30. Tu étais dans le couloir de l’entrée qui s’ouvre sur notre salon. Dans le mur de gauche, il y a un placard où nous rangeons nos manteaux, tandis que dans celui de droite, il y a un meuble à chaussures, même si la plupart d’entre elles sont glissées dessous. Tu as penché ta tête en te tenant au mur et tu m’as dit que tu partais. Tu étais en train de prendre tes clés et de finir de te préparer pour aller à l’enterrement d’un homme avec qui tu as travaillé. A ce moment-là, j’ai oublié où tu te rendais. Je ne t’ai pas dit bon courage, je n’ai pas pensé à ce que tu ressentais. Je regrette de ne pas avoir pu te soutenir un peu plus, avant que tu ne sortes de l’appartement et ne fermes la porte en me souhaitant de passer une bonne journée.
Jilliane
Cher Papa,
Je te ressemble quand je mets trop de sel dans mes plats. On sale toujours trop nos steaks ou la viande que tu fais le soir. J’ai hérité de vos cheveux à toi et Maman, même s’ils sont principalement comme les tiens, lisses et marron comme le café. Nous sommes tous les deux têtus, Maman dit souvent que je tiens ça de toi. On l’est surtout quand on se parle ou qu’on se dispute à propos de mon petit frère, Raphaël. La plupart du temps, je reste sur mes décisions et mes pensées, car elles me paraissent les plus logiques, et tu ne me réponds plus, car tu sais que c’est peine perdue. Nous remettons tout à plus tard, comme le fait de faire la vaisselle, et c’est souvent toi qui finis par la faire, car nous savons tous les deux que je ne la ferai pas. Mais ce qui nous caractérise le plus, c’est que nous sommes tous les deux colériques, nous nous énervons facilement et pouvons nous faire la tête très longtemps.
Mais je ne suis pas comme toi, car je suis plus gentille. J’essaie de ne pas être froide et d’aller vers les gens, alors que toi, c’est le contraire. Je ne te ressemblerai pas plus tard, car je donnerai de l’amour à mes enfants, je serai présente pour eux et je les soutiendrai. Je voterai aussi pour un parti politique de gauche, alors que toi, tu défends les idées de droite. Nous sommes différents car j’ai un meilleur sens de l’humour que toi qui es très premier degré. Je ne suis pas comme toi car je ne me vexe pas pour un rien. Par exemple, toi, tu te vexes quand tu me demandes une boisson à table et que je te tends la mauvaise exprès. Moi, je sais que ça va t’énerver parce que ça marche à tous les coups et c’est pour ça que je m’amuse à le faire. Nous ne sommes pas pareils car tu te genres au masculin tandis que moi, je me genre au féminin et au masculin.
La dernière fois que je t’ai vu, c’était lundi matin vers 7H. Tu étais dans ta chambre, allongé sur ton lit, encore en train de dormir, pendant que j’étais en train de me préparer pour aller à l…˜école. Le lit prenait presque toute la chambre. Sur la table à repasser, certains de nos vêtements étaient pliés, prêts à être rangés. La lampe de la salle de bain était allumée et les rideaux étaient fermés. Maman m’avait demandé de te réveiller pour que tu ne sois pas en retard pour amener Raphaël à l’école. Je n’avais pas trop envie de le faire, parce que je savais très bien que tu ne m’écouterais pas et ça m’agaçait déjà.
Ludyvine
Chère Maman,
Je te ressemble quand je partage ce que j’ai avec autrui, quand je me coiffe et que je n’y arrive pas à cause de mes boucles, ou encore quand je mets tes jolis parfums qui me rappellent ton odeur et ta présence. Je te ressemble mentalement, car on a la même façon de penser et on peut discuter sans se prendre la tête. Ces ressemblances sont importantes pour moi, car c’est ce qui me rapproche de toi. On se ressemble aussi, car on est ouvertes d’esprit, ce qui est important au quotidien.
Mais tu es différente de moi car tu es toujours positive, malgré les obstacles de la vie et tout ce que tu as vécu. Cela m’apporte beaucoup de bien-être. Tu es très rancunière et ne pardonnes pas facilement, alors que moi, je ne le suis pas du tout. Cela n’affecte pas pour autant notre relation, mais parfois c’est très énervant.
La dernière fois que je t’ai vue, tu étais dans ta grande chambre aérée aux murs gris. Tu étais en train de pratiquer ton sport du matin, avant de partir au travail. Tu pédalais sur ton grand vélo elliptique noir et gris. Cela m’a fait plaisir de te voir, car ton sourire est rayonnant et me met toujours de bonne humeur. Quand je te dis bonjour, entendre ta belle voix apaisante me fait du bien à l’esprit, avant de partir à l’école.
Rizlène
Cher Papa,
Je te ressemble car je suis généreux comme toi. On n’est pas des radins, on donne beaucoup aux gens. Nos visages se ressemblent avec notre peau bronzée et le grain de beauté qu’on a en commun, juste en dessous de l’œil. On est passionnés par le foot. Ce qui est bien, c’est qu’on supporte la même équipe, le PSG. Chaque fois qu’elle joue, c’est un grand soir et toute une organisation. On se prépare un plateau télé, on s’installe dans le canapé et c’est parti. Même si tu vis le match plus à fond que moi. Par exemple, tu parles aux joueurs comme s’ils pouvaient t’entendre, tu fais des grands gestes et tu râles quand l’un d’eux rate une action. Toi comme moi, on est toujours optimistes. On voit le bon côté des choses. Lorsqu’il y a un problème, on trouve toujours une solution.
Mais on est aussi différents sur certains points. Je suis petit par rapport à toi, qui es grand. Je suis très impatient, et toi, c’est tout le contraire. D’ailleurs, je ne sais pas comment tu fais, parce que quand j’ai envie de quelque chose, il faut que je l’aie tout de suite. Je rage quand je perds, car je n’aime pas la défaite, alors que comme tu me le dis tout le temps, l’important, c’est de participer. J’aime beaucoup sortir, alors que toi, tu es plutôt casanier. Et tu es très sociable, contrairement à moi qui suis très timide.
La dernière fois que je t’ai vu, c’était dans le long couloir près de la porte d’entrée, à côté du placard où on range nos chaussures. Tu étais encore un peu fatigué et tu es resté avec moi le temps que je parte. Quand je suis sorti, tu as secoué la main pour me dire au revoir. Je t’ai fait un geste en retour et on s’est souri, puis je t’ai entendu claquer la porte d’entrée. J’ai continué mon chemin pour aller à l’école.
Rayan