scènes de rue



Spectacle à la criée

Les six marionnettes se dandinent et s’égosillent derrière le rideau.
« Le bébé a sucé tout mon vernis à ongles !
— Cruella et Timide sont partis en Amérique ; ils ont emporté le magot !
Je vais vous hypnotiser, madame, vous ne ferez plus de cauchemars... »
Les passants ne s’arrêtent guère.
Un grand gaillard en ciré vert se tient au milieu de la rue, empêchant les gens de passer, venant à eux les bras ouverts et déclamant :
« N’allez pas plus loin, madame / monsieur, vous avez tiré le bon numéro : le 9. Au 9 de cette rue, là, il y a le meilleur spectacle de marionnettes. Du suspense, de l’humour, de la poésie. Posez votre cabas ou votre attaché-case, faites une pause détente, c’est gratuit. »
Une passante vêtue d’une gabardine orange pose son panier et regarde un moment, avant de commenter :
« Ils ont des têtes rigolotes mais on entend mal ce qu’ils disent. C’est la fabrique, là, dans leur dos qui fait tant de bruit. Ils devraient fermer leur porte. »
Elle s’approche de la porte cochère et lit sur une pancarte :

Ernest Vaucanson et fils
Fabricants d’automates

Intriguée, elle oublie le spectacle et entre.

(Benoît)



Nonna Daïa dans un dancing, plongeant dans un univers de perversion, là où les couples se font à coups de champagne, se mêle aux vices de l’ambiance dégingandée ; la voilà hirsute, cheveux sanglants, époustouflée et grivoise, se ramassant dans la foule.
Elle hurle, vitupère, enfle sa misère.
Elle radote dans le panaché acidulé, vieille canaille où tout reste possible.
C’est alors qu’elle bouscule tout le monde en dansant, endiablée en un air où les épaules et les hanches s’époumonent.
L’indécence de sa mise ne peut signaler de correspondance dans la foule où tout reste possible.
Dans son gros âge entubé d’alcool et de misère humaine, elle ose s’avancer, se pétrir d’autres sveltes qui la confondent. Mais, avec un coup de crosse devant ces corps qui dansent, la voici, frénésie pour guérir les turpitudes d’un mouvement massue derrière des gesticulations pour s’égrainer modernité.
C’est alors avec une indescriptible rage que Nonna pratique une danse d’ancêtres dans une exploration de sa transe où tout bouge et s’exaspère.
Nonna tourne sans bon escient ni parcimonie et se retourne de tous côtés pour clamer sa part de déconvenue devant son aigre posture, roulant des hanches allègrement.

(Germaine)



J’ai toujours rêvé de venir à Paris, capitale de la France.
L’occasion s’est présentée, un jour, et je suis monté d’Agen à Paris pour y travailler.
Cette ville m’a toujours fascinée avec ses lumières, avec les méandres de la Seine qui scindent cette grande ville en rive droite et rive gauche.
Il y a aussi le métro souterrain et aérien que l’on prend en montant ou descendant les escaliers.
Heureusement qu’à certaines stations il y a des escaliers roulants ou automatiques comme à Chaussée d’Antin par exemple.

(Marie)



Dans ma rue il y a beaucoup de boutiques
D’immenses enseignes
Et me voilà plongée dans des rêves étranges

Les devantures brillent de tous leurs feux !
Les silhouettes des marchands se devinent derrière les vitrines.

Pourtant parfois et mes gestes et mon corps allaient au hasard au-devant

Pourtant tous ces magasins
Je les connais comme par cœur.

Alors me voilà devant les marchands de primeurs
D’où s’évadent des senteurs merveilleuses !

Je suis comme stupéfaite alors ;
Par la senteur des légumes :
Celle des carottes ; celle des oignons

Ajoutez à cela les arômes
Et les douces et pénétrantes odeurs de fraises

Un parfum léger
Un parfum fuyant d’une corbeille de pêches.

Prolongeant ma course
Me voilà comme plantée devant une confiserie
Aux étalages de bois verni sur le trottoir.

Mille couleurs emplissent ma rue ;

Dans ma rue alors
Il y a aussi la librairie avec des livres à la couverture rouge et bleu

Sur laquelle est inscrit en lettres d’or :
« vingt mille lieues sous les mers »

Puis vient la boutique de jouets :
On y peut voir des soldats de plomb
Prêts a toutes les batailles et défilés.

Assez rêver :
Il ne faut pas oublier les sacs de billes
Les voitures miniatures
Les jeux de petits chevaux.

Assez rêver ;
Je suis à présent devant les grilles de la boucherie :
Et les bouchers aux tabliers ensanglantés
Qui agitent leurs hachettes et leurs couteaux.

On voit aussi à gauche de la boucherie
Comme des auréoles de soleil
A droite
On voit comme des tournedos
Des entrecôtes

Qui invitent à rêver

A côté de la boucherie
Il y a comme des panneaux de marbre

Tout est fait pour tenter les clients !

Je continue à marcher

Tiens voilà la crémière
Qui commence à renter ses étalages ;

L’auvent est replié ;

Je marche que déjà
Je vois le coiffeur :
à la vitrine ornée de bustes de cire.

On y voit aussi le fleuriste
Qui ferme plus tôt qu’à l’accoutumée.

Dans ma rue aussi
Il y a l’intrigante pharmacie :
Avec ses boiseries peintes.

Il y a la mercière
Qui sur le seuil de sa porte adresse un salut amical.
Il y a longtemps qu’elle tient sa boutique.

La peinture de la mercerie
Aux façades blanchâtres commence à s’écailler

Les lettres noires
Peintes à l’étage comme s’estompent.

On y lit cependant encore
« mercerie-bonneterie-passementerie » ;

C’est un lieu connu de toutes les ménagères ;

à l’intérieur tout n’est que soie
Dentelle ; boutons ; bobines et rubans.

Vient ensuite la bijouterie
Des montres sont alignées
Des chaînes ; des boucles d’oreilles
Des bracelets ; des bagues ;

Tout en remontent ces rues
On ne peut ne pas avoir le cœur chaud
Et voir le bazar de la place ;
On y voit l’enseigne lumineuse
Qui se détache sur un fond noir de ciel ;

Une véritable cohue
Le prend d’assaut ;
C’est le bazar ou tous se bousculent ;
C’est un bazar au bout des faubourgs rouges ;

Cette fois on ne peut en marchant toujours
Ne pas voir la boulangerie :
C’est là que se fait le pain de la ville ;

Une file d’attente s’étire jusque sur la place ;

On aperçoit des baguettes alignées dans des corbeilles d’osier ;

Des millefeuilles
Des galettes charentaises.
Des croissants chauds.

Saliha

2 juin 2015
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