Voix de femmes
Qu’est-ce que la métamorphose ? Etymologiquement le passage d’une forme à une autre, un changement d’état, physique, psychologique...
Un exode ?
Pour le groupe réuni à la Ferme du Buisson par la Caf de Noisiel, un groupe exclusivement féminin, d’âges variés et de toutes origines, la réponse suscite beaucoup d’échanges depuis le début des ateliers. Et fait se croiser dans les débats et sur le papier, à l’occasion de ce travail autour de la bande-dessinée, de l’image et de la narration, des trajectoires personnelles, où se mêlent la question du départ, du corps malmené, de l’obésité, du handicap, de la maternité, du travail, d’un imaginaire souvent tu par un quotidien harassant...
La question de l’imaginaire est au centre de cette résidence, ou comment résister et dépasser individuellement et collectivement la menace d’un réel qui pourrait museler pour de bon notre capacité à inventer un présent et un futur désirable.
La thématique autour de la métamorphose trouve immédiatement une intense résonance dans le groupe. Habituées qu’elles sont à échanger autour de leur quotidien et de leur problématiques intimes, le débat est très animé et fait émerger des récits singuliers, une complicité autour de leur expérience de femme, de mère, d’épouse.
Pour beaucoup d’entre elles qui ont des enfants en situation de handicap, cette question résonne tout particulièrement. Pour beaucoup, surgit dans la parole et par association d’idées, l’immense frustration quant à l’invisibilité du travail accompli quotidiennement, dans le soin apporté à leurs enfants, à la maison et au mari, les conséquences sur leur espace intime, leur corps, leur psychisme. Ce travail qui n’est pas reconnu comme tel, ni valorisé, ni considéré. Au contraire, de leur statut de mère au foyer, de femmes « sans travail », résulte une dépendance au statut administratif du mari, sans parler de la dépendance économique, une invisibilité sociale, enfin un isolement certain...
Nous parlons du combat de certains groupes féministes des années 70 pour une rémunération du travail des femmes, du livre passionnant de Silvia Federici « Capitalisme et Patriarcat » paru en 2019 aux éditions la Fabrique. Où il est question de la production du travail depuis la fin du XIXe siècle, mais aussi de la « reproduction » du travail par les femmes au travers de cette tâche quotidienne qui est celle de « porter » les enfants, de les élever, de veiller à la santé et au « confort » de la cellule familiale. Et comment le système économique a reposé en grande partie depuis, sur la gratuité de ce travail invisible. Mais également comment les nouvelles injonctions sociales concernant l’épanouissement personnel et professionnel des femmes en l’occurrence, les laissent une fois de plus sur le carreau, elles qui pour la plupart ne « travaillent » pas...
Comment de ce jaillissement de paroles et de témoignages, qui rassemblent différentes générations et des expériences variées, tirer un matériel mêlant autobiographie et fiction pour remettre en mouvement cet imaginaire assujetti à un réel si durement aliénant pour le psychisme, et qui laisse si peu d’espace à l’expression du « soi » ?
Aucune d’entre elles n’a de pratique artistique, alors nous avons commencé par écrire, noter, crayonner, tout en échangeant autour des techniques de narration en bande dessinée, à travers différents livres que j’apporte, à travers la présentation de ma propre démarche. Scénario, découpage ou story-board, techniques diverses, nous abordons ensemble toutes les étapes qui constituent la création de planches de bande-dessinée. L’enjeu étant ici, à travers les exemples concret que je leur donne, de leur permettre de trouver leur manière de raconter, de trouver leur « écriture », en montrant l’immense liberté formelle que représente la bande-dessinée.
C’est passionnant et tout à fait bouleversant, de voir surgir ces voix avec autant de fougue et d’énergie, de les voir se muer en « histoire » de mots et de dessins, à travers l’évolution des ateliers. Je ne peux que rendre hommage, à travers le constat du climat de confiance qui s’est installé instantanément depuis le début, et qui permet à cette parole de résonner et de se muer en une production poétique et plastique, au travail précieux mené au quotidien et en amont de cette rencontre par Florence Nomenyo, Aminata Sissoko-Martin de la CAF et Caroline Dupont agente municipale à Noisiel chargée du soutien à la parentalité, ainsi qu’à l’équipe des relations publiques de la Ferme du Buisson, je ne peux que les en remercier et rendre honneur à leur humanisme, leur énergie et leur passion.