Atelier du 30 avril à la Maison de Balzac

1. COMPTE-RENDU

2. LECTURE DU BONHOMME PONS, SUITE


1. COMPTE-RENDU

Accueilli chaleureusement par l’équipe de la Maison Victor Hugo, l’atelier s’est exceptionnellement déroulé place des Vosges ce 30 avril, en raison des travaux en cours à la Maison de Balzac. Certes de manière involontaire, c’est un voyage à travers le Paris littéraire du XIXe siècle que nous entamons là : dès la semaine prochaine, le 7 mai, et jusqu’au mois de juin, les ateliers se délocaliseront dans l’ancienne maison des frères Goncourt, à l’invitation de la Mel (Maison des écrivains et de la littérature) qui l’occupe depuis cinq ans.
Anne, Sarah et Mathilde, élèves du Conservatoire d’art dramatique du XVIe arrondissement, ont poursuivi ensemble la lecture du Cousin Pons, après l’avoir solidement préparée avec leur enseignant, Eric Jakobiak. Riche d’accents et d’effets dramatiques, cette lecture s’est ouverte sur le passage enlevé et de bout en bout théâtral où l’on assiste à un grand numéro de la Cibot, la concierge des deux célibataires, décidée à s’assurer que ni Pons ni Schmucke n’ont d’héritiers cachés ou autres fils naturels. Après avoir appris que le musée de Pons représente une fortune et avoir entendu le médecin le condamner peu ou prou, en effet, « une foule d’intentions mauvaises se rua dans l’intelligence et dans le cœur de cette portière ». Les digues de la morale cèdent d’un seul bloc, voici la Cibot contaminée par le mal à l’œuvre et l’avenir de Pons verrouillé. Si l’on pouvait le prévoir à de multiples indices, le basculement de la portière s’opère brutalement, dans cette scène où elle n’hésite pas à chatouiller douloureusement la libido du pauvre Pons malade et alité pour parvenir à ses fins. Du rôle de bonne mère soignant les deux célibataires comme ses propres enfants, rôle dont elle se gargarisait jusqu’ici et dont elle continue d’abuser dans ce passage même, elle sombre dans le rôle de la mauvaise mère prête à tout pour s’assurer un avenir confortable, serait-ce sur le cadavre desdits enfants.
On n’est jamais trop prudent, cependant, et avant de calculer plus loin, la portière décide de consulter dès le lendemain la voyante du quartier, la bien nommée Madame Fontaine - ce qui autorise Balzac, décrochant brutalement du récit, à une longue dissertation sur la superstition qui n’est pas l’apanage des couches populaires, et sur la voyance ou l’astrologie qui ne sont aberrants que « dans le systèmes des incrédules ». Croire à un quelconque pouvoir de divination, « c’est l’absurde ; mais c’est l’absurde qui condamnait la vapeur, qui condamne encore la navigation aérienne, qui condamnait les inventions de la poudre et de l’imprimerie, celle des lunettes, de la gravure, et la dernière grande découverte, la daguerréotypie. » Sans jamais quitter un registre, non pas matérialiste, mais assurément rationnel, ces pages sont d’autant plus marquantes qu’elles déploient en sous-main (on serait tenté de dire : de manière ésotérique) un véritable art du roman, lorsque Balzac nous explique que c’est à connaître au plus près possible les rouages du passé que l’on peut imaginer l’avenir avec quelques chances d’y voir clair. Ne dirait-on pas que, sans la mentionner jamais, il parle de la Comédie humaine elle-même lorsqu’il articule « les dons admirables qui font le Voyant » et l’idée de « l’homme comme microcosme » : « En effet, tout s’enchaîne dans le monde réel. Tout mouvement y correspond à une cause, toute cause se rattache à l’ensemble et, conséquemment, l’ensemble se représente dans le moindre mouvement. Rabelais, le plus grand esprit de l’humanité moderne, cet homme qui résuma Pythagore, Hippocrate, Aristophane et Dante, a dit, il y a maintenant trois siècles : L’homme est un microcosme. (...) Tout est fatal dans la vie humaine, comme dans la vie de notre planète. (...) Dès qu’on admet la fatalité, c’est-à-dire l’enchaînement des causes, l’astrologie judiciaire existe et devient ce qu’elle était jadis, une science immense, car elle comprend la faculté de déduction qui fit Cuvier si grand, mais spontanée, au lieu d’être, comme chez ce beau génie, exercée dans les nuits studieuses du cabinet. »
J’y insiste volontiers, non seulement parce qu’au long des semaines la dimension fantastique de l’œuvre de Balzac est plusieurs fois revenue dans nos discussions, bousculant l’idée reçue d’un auteur confiné dans le réalisme, mais surtout pour avoir ouvert une question qui n’est pas destinée à obtenir de réponse, mais qui invite à repenser autrement la mécanique narrative mise en branle dans le Cousin Pons. On a en effet constaté plusieurs fois, dans cet atelier, l’étonnement que peut provoquer la manière dont le personnage de Schmucke surgit dans cette histoire. Cœur le plus noble, atteignant seul au sublime dont Pons est coupé par la gourmandise et sa manie de collectionner, Schmucke n’a aucune histoire ; le romancier ne nous a rien appris de son passé, ne nous a fourni aucune indication biographique, si bien que l’on a pu écrire dans un compte-rendu précédent qu’il en devenait un « pur esprit », que c’était d’ailleurs là sa force : dégagé de toute forme d’impureté, il est l’amitié même, son idéal. En se rappelant comment, à la fin du roman, Schmucke va s’étioler, perdre au long des heures qui suivent la mort de Pons toute force vitale, et mourir à son tour comme on s’efface, il est tentant de penser que Balzac l’a réellement imaginé comme un pur esprit : un spectre du sublime qui hanterait Pons, que ce dernier soit l’objet d’une forme de dédoublement de la personnalité, ou que Schmucke, ce rêve d’une amitié pure, lui soit une sorte d’ange gardien, disons, le contraire exactement d’un mauvais démon, d’un dibbouk. Il n’est évidemment pas question ici de présenter cette lecture fantastique comme une évidence, mais il semble bien qu’il soit nécessaire d’en maintenir l’hypothèse, dans le geste qui consiste à tenter un remake contemporain.


2. LECTURE DU BONHOMME PONS

Après lecture du premier chapitre du Bonhomme Pons, « Un fastueux débris de 68 », pour les quelques participants qui n’avaient pas assisté à la séance précédente, c’est le deuxième qui est donné à entendre, « La machine aux gloires éphémères », dans sa version encore provisoire : le chapitre a été mis en ligne le 27 avril pour des raisons techniques, mais il est destiné à être modifié après cet atelier. En l’état, il est en effet trop chargé, à mon goût, ou bien, pour employer une métaphore culinaire, c’est la pâte qui réclame d’être travaillée encore, n’ayant pas atteint l’état homogène dans lequel ses ingrédients disparates ne seront plus repérables en tant que tels, comme j’explique en éprouver le sentiment. Mes questions invitent à une discussion d’autant plus ouverte après la lecture ; quelques avis contradictoires s’expriment sur des points de détail, mais l’on parle surtout des décrochages plus personnels dans la narration. Certains passages peuvent en effet n’être « balzaciens » ni dans l’effet ni dans le ton ; tous n’ont pas nécessité à l’être, s’ils doivent s’insérer naturellement dans le cours de la narration - la difficulté restant de décoller de l’original et de ne pas s’en tenir au modèle sans l’oublier jamais, pourtant, c’est-à-dire en respectant ses principales lignes de force.
A suivre...


Prochains ateliers à la MEL (67, bd de Montmorency, 75016 Paris), tous les lundis, de 13h à 14h30. L’inscription se fait auprès du service réservation de la Maison de Balzac : 01.55.74.41.80.

7 mai 2012
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