« Bricoler Pons », par José-Luis Diaz
L’intervention de José-Luis Diaz, spécialiste de Balzac et professeur à l’Université Paris-Diderot, telle qu’elle a été prononcée à la Maison de Balzac le samedi 11 février 2012, ponctuée par les lectures de Sarah Dulaurier et Prescillia Brunone.
Non, bien sûr, puisque Bertrand Leclair nous est sympathique à tous, amical à notre idole, très au fait des tours et retours de son univers, dont il est un piéton affectueux. Non, aussi, parce que toute occasion nous est bonne de remettre la pendule Balzac en marche, celle-là surtout qui, tant qu’à faire, veut la remettre à l’heure. Cela nous incite à une autre voie d’accès à l’Empire dont nous sommes, non tant les spécialistes, que les ordinaires et reconnaissants Sujets : La Comédie humaine. Non plus le commentaire, mais une collaboration à la manœuvre : la réécriture 2012 du Cousin Pons redevenu « bonhomme » ; mais aussi, remobilisée par elle, son écriture 1846/1847. Car, immanquablement, la seconde réactive la première ; elle a ce résultat de la rendre elle aussi inchoative.
1. Balzac à l’inchoatif
Pour une fois, nous voici donc, tous tant que nous sommes ici, placés face au texte balzacien, non plus en position de métalangage, encore moins en tant qu’« hommes spéciaux » estampillés par des diplômes, mais pas non plus vraiment en tant qu’apprentis créateurs et quasi sorciers. Petites mains invitées à participer à un ravaudage vingtiémisant du Cousin Pons qui, respect suprême, prétend le remobiliser, à nous aussi quand même l’excitation contagieuse de pouvoir, pour une fois, passer un peu de l’autre côté du miroir, intervenir dans le laboratoire, voir Balzac en état de bricolage et bricoler un peu nous-mêmes s’il se peut. But de la manœuvre : réveiller le bonhomme Pons de son sommeil de trois demi-siècles. Pour ravoir un Balzac en acte, un Balzac en marche, un Balzac en prise.
Mais point question pourtant pour moi de me substituer à Bertrand Leclair. En fait, autant avouer tout de suite mon crime : ces jours-ci, j’ai plus pisté Pons que « bricolé » Pons, comme l’annonçait mon titre. Mon bricolage, propédeutique, se contentera de vérifier ce qu’était l’établi de Balzac en écrivant Le Cousin Pons : ce qui le tarabustait, ce qu’il cherchait, « le nez à la piste » dès sa première page, derrière son bonhomme. Comme le disait Baudelaire à propos de Constantin Guys en ouverture au chapitre IV du Peintre de la vie moderne : « Ainsi il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? »
Balzac chercheur, Balzac à l’inchoatif donc, encore et toujours. Mais non comme il a été facile de le montrer, dans le séminaire de l’an dernier, pour le « Balzac 1831-1833 » : années climatériques et conquérantes, où tout était pour lui élan, recherche, révolution, tropisme. Non, Balzac à l’inchoatif encore et toujours, lors même de ce dernier roman achevé, et achevé dans une phase ultime de sa vie, dont la correspondance avec Mme Hanska dit assez l’intime dévastation. Sa Berezina à lui… Au moment même où déjà pourtant le triomphe posthume était en vue, comme j’aimerais le rappeler une autre fois.
En épigraphe, quelques pilules mortelles extraites de sa correspondance, rhapsodies funèbres du génie essoufflé, mais qui n’en écrira pas moins cet ultime chef-d’œuvre achevé qu’est Le Cousin Pons :
Jeudi 10 décembre 1846 : Hier, il m’a été impossible d’écrire une ligne et j’en suis venu à la triste extrémité, bourré de café, de lire des romans, j’en ai lu 3 dans ma journée, La Mare au diable, qui est un chef-d’œuvre, La Fille du cabanier et Le Colporteur d’Élie Berthet.
Mardi 8 décembre 1846 : Allons, idole de mon âme, il faut te quitter pour essayer ce que j’appelle la masturbation du cerveau ! C’est effrayant mais il faut le réveiller à tout prix.
Lundi 14 décembre 1846 : La poignée du mécanisme de nos lieux est en verre de Bohème, couleur verte.
Samedi 5 décembre 1846 : Je sais bien ce que tu diras : « Ce scélérat de Bilboquet met sa passion de Bric-à-brack sur le compte de son amour.
Dimanche 20 décembre 1846 : Comme tu dois rire de voir le grrrrannnd auteur de de la grrrrande Comédie humaine se passionner pour du mobilier au point de le rabâcher sans cesse. […]
Les efforts de La Cousine Bette, vomie en deux mois, ont effrayé le docteur Nacquart. Il m’a dit : Cela finira par quelque chose de fatal.
[…] La mémoire des noms m’échappe.
Vendredi 11 décembre 1846 : J’ai souvent touché aux limites des forces physiques, me voilà au bout des forces morales, je connais l’évanouissement de la pensée.
Mercredi 13 janvier 1847 : La consomption n’est pas autre chose que ce que j’ai. Rien ne me nourrit, tout m’obsède, et rien ne m’intéresse, ni la douleur, ni la lutte, je sens mon cerveau inerte.
2. La comédie de la mort
Ici, l’osmose vie-œuvre est telle, tels sont aussi les transvasements de l’une à l’autre, bile noire, actions des chemins de fer du Nord et bric-à-brac mêlés, qu’on ne peut accéder aux frétillements de l’invention, à ses pulsions, à ses tropismes, sans avoir pris acte d’abord du climat, délétère et agonique, qui entoure le Waterloo génial de notre Napoléon littéraire.
Car, cette fois, dans ce remake juste avant tombeau de la mort du Père Goriot, réincarné en pique-assiette célibataire, nous sommes visiblement au-delà de la littérature : il y a ici, pour de vrai, mort d’homme au programme. Pire encore presque que la mort, l’humiliation du cousin Pons, qui est pas mal celle de Balzac lui-même, environné de ses propres corbeaux, doutant de son génie, construisant lui-même son palais tombal rue Fortunée ! haï par sa mère et sa sœur, et, comble de malheur, repoussé même par son Ève, alourdie et glissante. Oui, comme l’écrit Anne-Marie Meininger, qui elle aussi prélude par là, « l’histoire de l’assassinat du cousin Pons par les parents des beaux quartiers et les blattes du Marais est le plus sombre des romans de Balzac » ; « d’un Balzac trop méconnu, malade, obsédé, complexe, n’écrivant plus que par fulgurants miracles, par à-coups de génie [1] ».
Si c’est bien sur ces ultimes à-coups inchoatifs du moteur Génie que j’aimerais mettre l’accent, comment ne pas prendre acte d’abord du fait que l’invention chercheuse et elle aussi bricolante se fait ici sur fond de mort qui rôde, avec des monstres pour protagonistes, et sous le soleil de Satan…
Voici en effet un roman qui, selon une de ses formules miraculeuses, s’écrit tout entier « dans l’envergure de la faux de la mort » ; qui convoque autour du mourant tous ces spectres mercantiles pour qui « la mort est un abreuvoir » (p.736). Ici, la camarde à la gouaille du Marais populaire, qui expédie le défunt le « drap sur le nez », et se rit de la « chemise en sapin qui nous attend tous ». Enfin, comme nous annonce l’incipit de sa deuxième partie (en ses premières éditions), ce dernier acte achevé de La Comédie humaine est une « comédie terrible de la mort » :
Ici commence le drame, ou, si vous voulez, la comédie terrible de la mort d’un célibataire livré par la force des choses à la rapacité des natures cupides qui se groupent à son lit, et qui, dans ce cas, eurent pour auxiliaires la passion la plus vive, celle d’un tableaumane, l’avidité du sieur Fraisier, qui, vu dans sa caverne, va vous faire frémir, et la soif d’un Auvergnat capable de tout, même d’un crime, pour se faire un capital (p. 630).
Quant à ce morceau d’anthologie qu’est la mort de Pons, qui, au bout du rouleau compresseur mis en place par cette annonce, lui répond, il a pour programme macabre : « La mort comme elle est » (titre de chapitre dans les premières éditions). Son chef de chœur est ici la redoutable Mme Sauvage, brutalisant le pauvre Schmucke, la main restée dans la main roide de son ami :
« Quittez-la donc, monsieur, vous ne pourriez plus l’ôter ; vous ne savez pas comme les os vont se durcir !
Ça va vite le refroidissement des morts. Si l’on n’apprête pas un mort pendant qu’il est encore tiède, il faut plus tard lui casser les membres... »
Ce fut donc cette terrible femme qui ferma les yeux au pauvre musicien expiré ; puis, avec cette habitude des gardes-malades, métier qu’elle avait exercé pendant dix ans, elle déshabilla Pons, l’étendit, lui colla les mains de chaque côté du corps, et lui ramena la couverture sur le nez, absolument comme un commis fait un paquet dans un magasin.
« Il faut un drap pour l’ensevelir, où donc en prendre un ?... » demanda-t-elle à Schmucke, que ce spectacle frappa de terreur.
Après avoir vu la Religion procédant avec son profond respect de la créature destinée à un si grand avenir dans le ciel, ce fut une douleur à dissoudre les éléments de la pensée, que cette espèce d’emballage où son ami était traité comme une chose.
« Vaides gomme fus fitrez !... », répondit machinalement Schmucke (p. 719-720).
Face à cette ultime agonie romanesque d’un faible et d’un martyr, devenu simple paquet qu’on emballe et qu’on cogne, nul balzacien un tant soit peu initié ne peut s’empêcher de penser à la mort de Balzac lui-même, telle que fantastiquée par son témoin oculaire, l’amant de la dame aux savates qui hante l’hôtel funèbre, le peintre Gignoux. Qu’on entende en effet les aveux tardifs qu’il est censé avoir faits à Octave Mirbeau :
Dans l’après-midi, nous apprîmes par la garde que Balzac était entré en agonie. Depuis qu’il s’était réveillé de son assoupissement, il n’avait plus sa connaissance. Ses yeux étaient grands ouverts, mais il ne voyait plus rien. Il râlait, d’un grand râle sourd qui, parfois, lui soulevait la poitrine, à la faire éclater. Le plus souvent, il demeurait calme, la tête enfouie dans l’oreiller, sans le moindre mouvement... N’eussent été le bruit de sa gorge et le gargouillement de son nez, on l’eût cru déjà mort. Le drap était tout mouillé de la sueur soudaine, fétide, qui lui ruisselait du visage et de tout le corps. La garde conta : « Monsieur a, au bout de chaque doigt, une énorme goutte de sueur que le drap pompe et qui se renouvelle sans cesse... On dirait qu’il se vide, surtout par les doigts... C’est extraordinaire !... » Elle n’avait jamais vu ça. Elle dit : « Ah ! Madame fera bien de ne pas entrer... Vrai ! c’est pas engageant, pour une dame !.. J’en ai veillé, vous pensez !... Mais des comme Monsieur !.... Oh ! la ! la ! Et j’ai beau mettre du chlore !... » Elle dit aussi : « Il me faudra une paire de beaux draps, tout à l’heure, pour que je fasse la toilette !... Le valet de chambre n’en a plus que de vieux... » Et comme la pauvre femme, épouvantée de tous ces détails, répétait : « La toilette ! mon Dieu ! c’est vrai ! la toilette !... » la garde la rassurait d’un affreux sourire : « Oh ! Madame n’a pas besoin d’être là ... Que Madame ne se tourmente pas... Ce n’est rien, j’ai l’habitude, allez ! » La journée passa ainsi, lugubre et lente, éternelle. Il ne me fut pas permis de sortir, d’aller à mes affaires, à mon atelier, où j’avais donné un rendez-vous important. Chaque fois que j’en émettais le désir, elle s’accrochait à moi, poussait de petits cris : « Non ! non !... Ne me laisse pas toute seule, ici… »
[…] Surtout, je souffrais cruellement de ne pouvoir pas fumer. Et dans cette maison en plein Paris, où, plus délaissé qu’une bête malade au fond d’un trou, dans les bois, où mourrait le plus grand génie du siècle, j’écourtais, sans être impressionné par l’atrocité de ce drame, j’écoutais l’immense, le lugubre silence que troublait seulement, de loin en loin, le bruit humain, l’unique bruit humain de deux immondes savates traînant, derrière la porte, dans le couloir [2]…
Certes, entre Balzac et Pons l’épaisseur des corps fait contraste, et la rue Fortunée est loin de la rue de Normandie ! Mais la commune manie du bric-à-brac, court pourtant de l’un à l’autre, formant un tapis roulant de choses de prix, désirées, achetées, gardées avaricieusement. L’angoisse commune semble être : quand le drap sera cousu, qu’adviendra-t-il de tout cet avoir, et de l’être accumulateur qu’il symbolisait ? C’était déjà l’angoisse de Gobseck, en 1832 ; c’est celle de Pons mais aussi de son auteur en 1847. Comme son personnage, Balzac fantasme des intrusions furtives dans son palais des mille et une nuits. On le vole, lui aussi. Dans le roman comme dans la vie, prévaut la même impression : que cet ultime rendez-vous chez Pluton ne fait qu’accomplir une descente dans la « caverne », celle de Fraisier et de bien d’autres monstres, chouettes, corbeaux et vipères de tous ordres, du roman et de la vie, composant à eux tous un « bric-à-brac de laideurs morales » : celui que nous exhibent de conserve l’agonie romanesque de Pons et l’agonie épistolaire de Balzac.
Un peu avant (1842-1843), les Mystères de Paris ont commencé à dévaler les bas-fonds ; déjà aussi s’inventent Les Misères les futurs Misérables comme une exploration de l’égout social. Le Cousin Pons compose quant à lui un exceptionnel bouquet de crapules infernales, qui ont nom ici Fraisier, Rémonencq, Élie Magus, Mme Cibot, Mme Sauvage, Mme la présidente Camusot de Marville, chacun apportant ses irisations à la gerbe.
3. Un festival de monstres
Comme chacun est un sublimé sui generis des horreurs communes, frappons d’abord à la porte de Rémonencq, dont la Cibot elle-même, qui parle d’or, trouve qu’il est un monstre [3]. Le voici dans son antre, tel que celui-ci se transforme au gré de l’ascension de son propriétaire, à la fois dragon, mère maquerelle et Protée :
Au fer-blanc, aux quinquets, aux tessons succèdent des cadres et des cuivres. Puis viennent les porcelaines. Bientôt la boutique, un moment changée en Crouteum, passe au muséum. Enfin, un jour, le vitrage poudreux s’est éclairci, l’intérieur est restauré, l’Auvergnat quitte le velours et les vestes, il porte des redingotes ! on l’aperçoit comme un dragon gardant son trésor ; il est entouré de chefs-d’œuvre, il est devenu fin connaisseur, il a décuplé ses capitaux et ne se laisse plus prendre à aucune ruse, il sait les tours du métier. Le monstre est là, comme une vieille au milieu de vingt jeunes filles qu’elle offre au public. La beauté, les miracles de l’art sont indifférents à cet homme à la fois fin et grossier qui calcule ses bénéfices et rudoie les ignorants. Devenu comédien, il joue l’attachement à ses toiles, à ses marqueteries, ou il feint la gêne, ou il suppose des prix d’acquisition, il offre de montrer des bordereaux de vente. C’est un Protée, il est dans la même heure Jocrisse, Janot, queue rouge, ou Mondor, ou Harpagon, ou Nicodème (p. 574-575).
Mais le plus beau de l’affaire, c’est que Balzac, plus « bilatéral » que jamais, pousse l’instinct créateur de la contradiction jusqu’à infuser au monstre Rémonencq, déjà son compère en bricabracologie, son propre génie protéiforme. N’en fait-il pas son double infernal et grotesque ? Car lui aussi, le grrrrrand Balzac, au même moment, trône au milieu de ce bric-à-brac fastueux qu’offre au regard la rue Fortunée, mais aussi, monument bien plus cher encore, l’étal de la ggrrrande Comédie humaine.
Pour corser encore plus sa galerie, Balzac la complique de figures adjacentes, de manière que, par contagion, tout se fait monstre dans ce roman de l’enfer parisien : la série complète des professionnels de la tératologie, déjà nommés, mais aussi à peu près tout le monde. Voici la Présidente Camusot, « diable en jupons » :
Ces mécomptes, après avoir usé la présidente de Marville, qui ne s’abusait pas d’ailleurs sur la valeur de son mari, la rendaient terrible. Son caractère, déjà cassant, s’était aigri. Plus vieillie que vieille, elle se faisait âpre et rêche comme une brosse pour obtenir, par la crainte, tout ce que le monde se sentait disposé à lui refuser. Mordante à l’excès, elle avait peu d’amies. Elle imposait beaucoup, car elle s’était entourée de quelques vieilles dévotes de son acabit qui la soutenaient à charge de revanche. Aussi les rapports du pauvre Pons avec ce diable en jupons étaient-ils ceux d’un écolier avec un maître qui ne parle que par férules (510).
En nous montrant ensuite comment « la diabolique parole du ferrailleur » Rémonencq fait en Mme Cibot accoucher le serpent hors de sa coquille, nous voyons en direct comment le monstre engendre le monstre, scène corsée du fait que l’engendreur, bon herméneute, rêve ménage bourgeois avec la plantureuse engendrée, qui, pour conjoint, n’a qu’un « petit tailleur » facile à empoisonner :
Rémonencq avait lu dans le cœur de la Cibot. Chez les femmes de cette trempe, vouloir, c’est agir ; elles ne reculent devant aucun moyen pour arriver au succès ; elles passent de la probité la plus entière à la scélératesse la plus profonde, en un instant. […] Une foule d’intentions mauvaises se rua dans l’intelligence et dans le cœur de cette portière par l’écluse de l’intérêt ouverte à la diabolique parole du ferrailleur […] (p. 601).
Aussitôt, face à son casse-noisettes allongé, la garde-malade satanique est à l’œuvre :
« Eh bien ! mon cher monsieur, comment vous sentez-vous ? » dit la Cibot.
La portière se posa au pied du lit, les poings sur ses hanches et les yeux fixés sur le malade amoureusement ; mais quelles paillettes d’or en jaillissaient ! C’eût été terrible comme un regard de tigre, pour un observateur.
[…] Depuis le jour où, par un mot plein d’or, Rémonencq avait fait éclore dans le cœur de cette femme un serpent contenu dans sa coquille pendant vingt-cinq ans, le désir d’être riche, cette créature avait nourri le serpent de tous les mauvais levains qui tapissent le fond des cœurs, et l’on va voir comment elle exécutait les conseils que lui sifflait le serpent.
Comme en diptyque, Balzac ne manque pas la scène où l’avoué Fraisier, « bocal de poisons couvert d’une perruque rougeâtre » tente une autre initiation au mal sur la même apprentie hyperdouée [4]. Quant à la bien nommée Mme Sauvage, la « bonne » de M. Fraisier, c’est un « cerbère femelle » :
La Cibot entendit le bruit d’un pas pesant, et la respiration asthmatique d’une femme puissante. Et Mme Sauvage se manifesta ! C’était une de ces vieilles devinées par Adrien Brauwer dans ses Sorcières partant pour le Sabbat, une femme de cinq pieds six pouces à visage soldatesque et beaucoup plus barbu que celui de la Cibot, d’un embonpoint maladif, vêtue d’une affreuse robe de rouennerie à bon marché, coiffée d’un madras, faisant encore des papillotes avec les imprimés que recevait gratuitement son maître, et portant à ses oreilles des espèces de roues de carrosse en or. Ce cerbère femelle tenait à la main un poêlon en fer-blanc, bossué, dont le lait répandu jetait dans l’escalier une odeur de plus, qui s’y sentait peu, malgré son âcreté nauséabonde.
« Qué qu’il y a pour votre service, médème ? » demanda Mme Sauvage.
Et, d’un air menaçant, elle jeta sur la Cibot, qu’elle trouva, sans doute, trop bien vêtue, un regard d’autant plus meurtrier, que ses yeux étaient naturellement sanguinolents (p. 633-634).
Mais ce roman des monstres ne serait pas complet sans la grimace que font en la coulisse une série de monstriculets adjacents. D’abord l’inoffensif Topinard : monstre, lui aussi, par métonymie, parce que du fait de son métier de « gagiste », il est employé au théâtre de Gaudissart pour « faire les monstres et commander les diables quand il y a des enfers » (p. 743). Monstres aussi ces neveux spoliant un mourant, tout comme l’est Pons, qui passent dans un désopilant récit en abyme que fait en argot de portière Mme Cibot [5]. Mais monstre aussi, du fait de la réversibilité dont Balzac aime à se rendre coupable, jusqu’au cousin Pons lui-même : c’est un « monstre d’ingratitude », clame la présidente, qui a la force d’imposer cette contre-évidence à toute sa riche tribu. Statut que confirme à sa manière le narrateur. Il fait de Pons un « monstre-né », parce que né de parents âgés. Mais aussi un montre de vertu puisque sa vie sexuelle est réduite à rien : « Un homme sans passion, le juste parfait, est un monstre, un demi-ange qui n’a pas encore ses ailes. »
Mais le pire, c’est qu’il n’y a absolument personne dans cet univers noir pour compenser la monstruosité triomphante. Seule exception à peine, le gagiste faiseur de monstres, qui se met en quatre pour accueillir le casse-noisettes quand il tombe dans l’extrême débine. Mais il s’avère un adjuvant impuissant lorsque sa charité novice heurte l’intérêt de Gaudissart. Les « robes noires » elles-mêmes, dont La Comédie humaine idéalisa longtemps la compassion – mais aussi les utopies sociales – comptent désormais au nombre des figures de l’enfer, puisque l’homme de loi Fraisier et le médecin Poulain sont parmi les plus experts tortionnaires des deux musiciens, et que l’abbé Duplanty n’a pas la force herméneutique de déjouer leurs pièges.
Au total, entrer dans Le Cousin Pons c’est parvenir au dernier cercle de l’enfer.
Et pourtant…
4. Balzac en verve
Pourtant si, oubliant un peu sa fin nocive, on se retourne maintenant vers son élan premier, ce roman noir a les vertus de fantaisie, de drolatique, de trouvaille des plus grands. Oxymore extrême dont Balzac est spécialiste, même quand, complices entre elles, la vie et l’œuvre broient du noir. Balzac à l’inchoatif dans ce texte de mort galopante ? Mais n’est-ce pas là, à vie, la marque de l’auteur, malgré les effets d’écho, d’unité, d’éternel retour qu’un peu en vain il tente, pour clore son monument ?
Première impression, en tout cas, quand je re-rentre dans le début du Cousin Pons : que Balzac est là plus aware que jamais, frétillant d’intelligence, malgré le cœur qui bat trop fort, l’essoufflement qui guette. Mais comment s’en douter, emporté qu’on est par cette ouverture géniale, qui, en quelques pages d’écriture chanceuse, déploie à-tout-va les possibles du personnage, avec une maestria belle de son excès même. Sans trop s’inquiéter encore de la « logique de la narration », mise à mal par les débauches de la fantaisie…
Dès la première phrase, nous traversons l’écran de la bande dessinée de droite à gauche, menés par le « nez à la piste » du cousin Pons. Mais ce « nez à l’ouest comme celui du secrétaire perpétuel de l’Académie française » (p. 598), est aussi, bien sûr, celui du narrateur, emporté par son propre travelling. Lui aussi, d’emblée en quête, en course, en manque, a son éventail à nous apporter, bric-à-brac narratif que le récit va déployer. Ferons-nous comme la Présidente ? Non, car nous voici déjà nous-mêmes « le nez à la piste »…
L’éventail précieux, n’est-ce pas d’emblée, par métonymie, notre personnage kaléidoscopé ? En effet que, de facettes surnuméraires à ce prétendu bonhomme, que de branches à cet autre éventail que le récit va déplier ! Certes, nous ne serions pas en Balzacie s’il ne nous était pas donné pour un « type », pour la « personnification de toute une époque ». Mais au lieu de se tenir à l’étroit dans son spencer-Empire, aussitôt il en crève les manches, se gonfle, rutile, de falot qu’il devrait être. Effet de la générosité de son créateur, qui est toujours trop, comme on dit aujourd’hui. Même à ce parent pauvre programmé, il transvase son trop-plein de vie, par manière de saignée.
Aussitôt Pons est un personnage disparate, aux identités empilées, dont l’addition improbable a de quoi laisser pantois. Cela se fait déjà par prolifération de ce que les narratologues appellent « l’étiquette du personnage », soit donc de ses dénominations multiples : passant, vieillard singulier, homme-Empire, cousin, bonhomme, enfant d’Euterpe, vieil Alcibiade, parasite, pique-assiette, casse-noisettes, grand prix de Rome, glorieux débris de l’Empire, gueule fine, estomac incompris (p. 531), « espèce d’égout aux confidences domestiques » (p. 516), à la fois cerf, israélite et flâneur (p. 490), tantôt « oiseau picoreur », tantôt dents de requin. Additionnez, salez, servez, voici le cousin Pons !
Mais le sommet du kitch est atteint au paragraphe suivant où, une fois personnifié son « chapeau attaqué de lèpre », s’ébroue un portait à la Arcimboldo, d’un corps à la fois potiron et écumoire :
Sous ce chapeau, qui paraissait près de tomber, s’étendait une de ces figures falotes et drolatiques comme les Chinois seuls en savent inventer pour leurs magots. Ce vaste visage percé comme une écumoire, où les trous produisaient des ombres, et refouillé comme un masque romain, démentait toutes les lois de l’anatomie. Le regard n’y sentait point de charpente. Là où le dessin voulait des os, la chair offrait des méplats gélatineux, et là où les figures présentent ordinairement des creux, celle-là se contournait en bosses flasques. Cette face grotesque, écrasée en forme de potiron, attristée par des yeux gris surmontés de deux lignes rouges au lieu de sourcils, était commandée par un nez à la Don Quichotte, comme une plaine est dominée par un bloc erratique (p. 484).
S’ensuit un portrait en forme du costume de Pons, lui aussi tendant au typique Empire, mais accumulant les détails les plus fantasques.
Un signe qui ne trompe pas de l’esprit de quête attrape-tout dans lequel se trouve d’emblée emporté l’auteur, sa tendance à tordre la langue pour rendre la multiplicité de son personnage. L’incipit de Pons se fait succession d’à-coups sémantiques surprenants, logo-rallye, comme aurait dit Queneau, d’audaces d’expression. Pons est ainsi un homme-Empire, un porte-spencer, atteint de bricabracomanie : heureusement, pour l’instant, puisque « une manie est un moxa qu’on se pose à l’âme », et donc « le bonheur en petite monnaie », etc. Comparé fantastiquement à une « croche antédiluvienne » (Hoffmann est passé par là…), notre musicien célibataire a, selon la formule risque-tout de Balzac, épousé un homme. Puis il donne sous nos yeux sa « démission de pique-assiette » (p. 541). Comme si c’était là une fonction institutionnelle…. Cela après avoir été rejeté par les Camusot : entre autres pour avoir eu la maladresse de refuser le « bonheur par trop couperosé » que lui proposait leur servante-maîtresse, Madeleine Vivet, « Didon d’antichambre » passée harpie (p. 507)…
Mais le génie des à-coups de la langue n’est pas réservé au seul Pons, puisque Mme Cibot, « portière à moustaches », est elle aussi une figure archimboldesque :
Heureusement pour Mme Cibot, le mariage légitime et la vie de concierge arrivèrent à temps pour la conserver ; elle demeura comme un modèle de Rubens, en gardant une beauté virile que ses rivales de la rue de Normandie calomniaient, en la qualifiant de grosse dondon. Ses tons de chair pouvaient se comparer aux appétissants glacis des mottes de beurre d’Isigny ; et nonobstant son embonpoint, elle déployait une incomparable agilité dans ses fonctions. Mme Cibot atteignait à l’âge où ces sortes de femmes sont obligées de se faire la barbe. N’est-ce pas dire qu’elle avait quarante-huit ans ? Une portière à moustaches est une des plus grandes garanties d’ordre et de sécurité pour un propriétaire. Si Delacroix avait pu voir Mme Cibot posée fièrement sur son balai, certes il en eût fait une Bellone ! (p. 521).
Petite parenthèse : comparez cette portière-là à la portière de littérature panoramique que nous offre Monnier dans Les Français peints par-eux-mêmes, ou à la Mme Pipelet des Mystères de Paris, et vous saurez bientôt pourquoi Baudelaire a dit que, chez Balzac, même les portières ont du génie [6].
Mais, si je reviens à ma piste, on peut dire que la langue est en fête en ce début du Cousin Pons, gauchie, bousculée, remise sur le métier avec délectation. Les formules fusent, le witz commande. L’Esprit est là, à tous les sens du mot. Tout autant qu’il « tripote » la mère Fontaine, avec son crapaud Astaroth et ses extases tarifées, il tripote l’auteur. Il retrouve une jeunesse de rechange en ayant recours à l’ethos Petit Journal. Jusqu’à descendre souvent au calembour.
5. Un festival d’esprit
Ainsi, le festival des monstres, s’il n’a plus ici pour dédommagement la charité des « robes noires » passées Crapules Premières, s’il n’a plus non plus pour envers consolateur le « soleil moral » (p. 585) du génie, puisque Pons est un artiste qui « ravale son esprit chez ses amphitryons » (p. 515) et a capitulé de manière infâme contre un plat de lentilles (p. 494), le festival des monstres est donc du moins compensé par un festival d’esprit. Comme Bianchon s’est ravalé au rang de Docteur Poulain, comme à la place du secourable Derville nous avons désormais un serpent connu au Marais sous le nom de Fraisier, il revient au seul auteur, a son witz ainsi qu’à celui de ses rares acolytes dans la fiction, de faire de la résistance. Contre sa ménagerie de fripouilles, c’est lui le dompteur en première ligne.
Déléguée subsidiaire à cette fonction, Héloïse Brisetout, avec son étiquette nominale explosive, danseuse à l’esprit dansant, double de la Josépha de La Cousine Bette. Elle a « l’esprit drolatique des coulisses » (p. 407), qu’affectionne tant son créateur qu’il le lui vole, tandis qu’il réprouve le Paris railleur [7] et mystificateur (p. 502)) qui regarde passer l’attraction Pons le sourire en coin. Véritable morceau d’esprit, la « prise de bec » de cette nouvelle Héloïse avec la ci-devant belle écaillère du Cadran Bleu, Mme Cibot. L’atroce portière en est réduite à se défendre comme elle peut, tandis qu’avachi dans un fauteuil l’illustre Gaudissart compte les points :
Aux éclats de rire de Gaudissard, une femme s’écria :
« Si tu ris, on peut entrer, mon vieux. »
Et le premier sujet de la danse fit irruption dans le cabinet en se jetant sur le seul canapé qui s’y trouvât. C’était Héloïse Brisetout, enveloppée d’une magnifique écharpe dite algérienne.
« Qu’est-ce qui te fait rire ?... Est-ce madame ? Pour quel emploi vient-elle ?... » dit la danseuse en jetant un de ces regards d’artiste à artiste qui devrait faire le sujet d’un tableau.
Héloïse, fille excessivement littéraire, en renom dans la bohème, liée avec de grands artistes, élégante, fine, gracieuse, avait plus d’esprit que n’en ont ordinairement les premiers sujets de la danse ; en faisant sa question, elle respira dans une cassolette des parfums pénétrants.
« Madame, toutes les femmes se valent quand elles sont belles, et si je ne renifle pas la peste en flacon, et si je ne me mets pas de brique pilée sur les joues...
— Avec ce que la nature vous en a mis déjà, ça ferait un fier pléonasme, mon enfant ! dit Héloïse en jetant une œillade à son directeur.
— Je suis une honnête femme...
— Tant pis pour vous, dit Héloïse. N’est fichtre pas entretenue qui veut ! et je le suis, madame, et crânement bien !
— Comment, tant pis ! Vous avez beau avoir des Algériens sur le corps et faire votre tête, dit la Cibot, vous n’aurez jamais tant de déclarations que j’en ai reçu, médème ! Et vous ne vaudrez jamais la belle écaillère du Cadran-Bleu... »
La danseuse se leva subitement, se mit au port d’arme, et porta le revers de sa main droite à son front, comme un soldat qui salue son général.
« Quoi ! dit Gaudissard, vous seriez cette belle écaillère dont me parlait mon père ?
— Madame ne connaît alors ni la cachucha, ni la polka ? Madame a cinquante ans passés ! » dit Héloïse.
La danseuse se posa dramatiquement et déclama ce vers :
Soyons amis, Cinna... !
« Allons, Héloïse, madame n’est pas de force, laisse-la tranquille.
— Madame serait la nouvelle Héloïse ?... dit la portière avec une fausse ingénuité pleine de raillerie.
— Pas mal, la vieille ! s’écria Gaudissard.
— C’est archidit, reprit la danseuse, le calembour a des moustaches grises, trouvez-en un autre, la vieille... ou prenez une cigarette.
— Pardonnez-moi, madame, dit la Cibot, je suis trop triste pour continuer à vous répondre, j’ai mes deux messieurs bien malades… (p. 653-654).
Mais le narrateur lui-même n’est pas en reste pour mener sa guerre de tranchée contre ses propres monstres. Son artillerie à lui est déjà dans les noms propres dont il les affuble, cratyléens ou antiphrastiques à souhait, mais aussi dans ses mots d’esprit. Ils éclatent dans les titres ludiques de la première édition du livre, sortes de manchettes de journal, « à surprises » comme le sont les plats dont se pourlèche Pons :
Chap. XXVII : « Le chagrin passe à l’état de jaunisse. »
Chap. XXIX : « Iconographie du genre brocanteur. »
Chap. XXXVIII : « Exorde par insinuation. »
Chap. LII : « Le Fraisier en fleurs. »
Ou mieux encore, sublime du genre, le titre du chapitre XXVIII, intertextuel à souhait :
L’or est une chimère (Paroles de M. Scribe, musique de Meyerbeer, décors de Remonencq).
Passés ces titres-brûlots, les assauts d’esprit se donnent libre cours dans des « récits de bravoure » (si l’on peut dire) où se déploie la folie du narrateur. Ainsi, de la « deux cent millième représentation » qu’il nous offre « de la sublime parabole » de l’enfant prodigue, en faisant lui aussi, lui déjà, une réécriture – car il en fait sans cesse jusqu’à se pasticher lui-même. Sans attendre son réécriveur, d’autant plus fondé à continuer le jeu. Nouveaux personnages ici de cette autre fable : non plus le couple des « Deux amis », intertexte idéalisant, mais « La Hyène et le Chérubin ». Entendons la paire formée par une marâtre, la seconde Mme Brunner, autre monstre subsidiaire (comme il y en tant en réserve dans notre marigot pestilentiel), et son enfant prodigue à elle, transformé, pour les besoins de la cause, en apprenti Werther de Francfort-sur-le-Main :
Cette hyène était d’autant plus furieuse contre ce chérubin, fils de la belle Mme Brunner, que, malgré des efforts dignes d’une locomotive, elle ne pouvait pas avoir d’enfant. Mue par une pensée diabolique, cette criminelle Allemande lança le jeune Fritz, à l’âge de vingt et un ans, dans des dissipations antigermaniques. Elle espéra que le cheval anglais, le vinaigre du Rhin et les Marguerites de Goethe dévoreraient l’enfant de la juive et sa fortune ; car l’oncle Virlaz avait laissé un bel héritage à son petit Fritz au moment où celui-ci devint majeur. Mais si les roulettes des Eaux et les amis du Vin, au nombre desquels était Wilhem Schwab, achevèrent le capital Virlaz, le jeune enfant prodigue demeura pour servir, selon les vœux du Seigneur, d’exemple aux puînés de la ville de Francfort-sur-le-Main, où toutes les familles l’emploient comme un épouvantail pour garder leurs enfants sages et effrayés dans leurs comptoirs de fer doublés de marcs banco. Au lieu de mourir à la fleur de l’âge, Fritz Brunner eut le plaisir de voir enterrer sa marâtre dans un de ces charmants cimetières où les Allemands, sous prétexte d’honorer leurs morts, se livrent à leur passion effrénée pour l’horticulture (p. 534).
La folie fantasque du narrateur est sensible aussi dans sa propension aux comparaisons ludiques, souvent empilées les unes sur les autres, comme si le récit, atteint de diplopie, ne pouvait s’écrire qu’en partie double, ainsi que le démontre à l’envi la séquence cinématographique finale des deux convois, celui de Pons et celui de Cibot, couple d’assassinés suivis par des cortèges inégaux.
Personne ne venait rendre aucun témoignage d’affection au brillant catafalque de l’ami des arts, et tous les portiers du voisinage affluaient et aspergeaient la dépouille mortelle du portier d’un coup de goupillon (p. 735).
Mais d’emblée, dès la première page, le « contentement » de Pons porteur d’un précieux objet masqué censé lui rapporter un dîner fin est, au choix, celui d’« un négociant qui vient de conclure une excellente affaire », ou d’« un garçon content de lui-même au sortir d’un boudoir ». Deux fausses pistes, deux leurres, le second surtout à moins qu’on n’use du signe négatif de l’antiphrase pour redresser le tir, car bientôt le vieux Pons sera posé comme sans sexualité possible du fait de sa laideur rédhibitoire.
Chaque page presque offre ainsi des exemples de tels dérèglements comparatifs. Le « comme » opère des identifications saugrenues, décalées. Ainsi lorsque « l’éclipse » de Pons et de Schmucke « dans la gloire » (jolie formule) est comparée à une noyade dans une baignoire (p. 501). Ou bien lorsque Schmucke regarde les « petites bêtises » de son ami, « comme un poisson qui aurait reçu un billet d’invitation, regarderait une exposition de fleurs au Luxembourg » (p. 527). Ou encore quand le soin mis à l’habillement de pied en cap, que fait subir la Présidente à sa fille pour la marier, est comparé à celui que mit « l’amiral de la flotte bleue à armer le yacht de plaisance de la reine d’Angleterre, quand elle partit pour son voyage d’Allemagne » (p. 552).
Mais il est temps d’interrompre ce voyage au cœur du plaisir du texte, qui culmine dans la manière qu’a Balzac d’emprunter aux parlures les plus diverses, parlant loi avec Fraisier, thérapeutique avec Poulain, charabia avec Rémonencq, coulisses avec Héloïse, astrologie avec Mme Fontaine, allemand avec l’ami Fritz, Parisien avec Mme Cibot, mais d’abord, d’entrée de jeu, Empire avec Pons pour rendre par une enfilade d’expressions fleuries, distanciés par l’italique, le vivant anachronisme qu’est notre homme-Empire, tant par ses façons d’être et de parler que par son spencer.
6. Ateliers balzaciens
Si, comme je crois l’avoir montré, Le Cousin Pons construit une antithèse en règle entre sa ménagerie de monstres et sa vitalité spirituelle de compensation, là ne s’achève pas sa vertu. Dans ce texte quasi ultime, si je n’avais pas déjà abusé de mon temps de parole il me serait possible de montrer que tous les ateliers de recherche balzaciens, qui le passionnent et nous passionnent, non seulement perdurent mais s’affinent encore, et sont en état de vigilance maximum. Derrière le Balzac créateur de personnages, ou bien encore styliste violeur de langue, cherchez le Balzac penseur, inventeur, chercheur : il est ici en état de veille plus qu’active, sur la paillasse romanesque de ses sciences humaines à l’état expérimental. Nombreux les ateliers de recherche qu’éveille Le Cousin Pons. Je vous dispense de celui des « Choses » (sujet du prochain Magasin du XIXe siècle), avec lequel j’ai passé une partie de la semaine, en stéréophonie avec les bric-à-brac de Pons.
Je n’en garde ici que quatre, pour finir. L’histoire moderne telle que la comprend ce Balzac qui veut « saisir le siècle [8] » et dont Gautier vante dès 1859, la « modernité [9] », la thèse pré-goffmanienne de la théâtralité des comportements sociaux [10], l’analyse des effets de la libido, enfin l’esthétique du roman, tout est ici objet d’observation inquiète, tout reste sur le fil du rasoir.
Balzac historien du social est aux aguets quand il nous peint son homme Empire :
À la vue du spencer, les gens de quarante à cinquante ans revêtaient par la pensée ce monsieur de bottes à revers, d’une culotte de casimir vert pistache à nœud de rubans, et se revoyaient dans le costume de leur jeunesse ! Les vieilles femmes se remémoraient leurs conquêtes ! Quant aux jeunes gens, ils se demandaient pourquoi ce vieil Alcibiade avait coupé la queue à son paletot. Tout concordait si bien à ce spencer que vous n’eussiez pas hésité à nommer ce passant un homme-Empire, comme on dit un meuble-Empire, mais il ne symbolisait l’Empire que pour ceux à qui cette magnifique et grandiose époque est connue, au moins de visu ; car il exigeait une certaine fidélité de souvenirs quant aux modes. L’Empire est déjà si loin de nous, que tout le monde ne peut pas se le figurer dans sa réalité gallo-grecque (p. 484).
Mais ce qui l’intéresse surtout, c’est l’effet de géométrie dans l’espace-temps que ce flash-back permet. Si Balzac met au cœur de l’intrigue un anti-héros obsolète, grain de sable broyé par le chemin de fer de la civilisation montante, c’est que la distance 1806-1846 permet non seulement un effet de stéréoscopie remarquable, mais aussi une méditation avivée sur le temps présent de cette fin de monarchie de Juillet, qui n’est plus que démocratie parlementaire, presse à grande diffusion, actions de chemins de fer et daguerréotype, sur fond de montée de la nuit des « prolétaires », ainsi que Balzac les désigne une fois lui-même.
Balzac sociologue/sémiologue/archéologue, analyste et théoricien de la comédie humaine est lui aussi actif à chaque détour de scène. Ainsi quand il rappelle à quel point « on jouait à la royauté » sous l’Empire, comme on joue à la Chambre en 1847, en créant une foule de sociétés à présidents, vice-présidents, etc. (p. 492). L’histoire sociale tout entière n’est ainsi qu’une vaste comédie. Le roman continue par ailleurs à se faire école de séméiologie de la société. Si Pons meurt de s’être avéré incapable de décrypter les « grimaces de la comédie sociale » (p. 549), bien qu’ayant eu sous les yeux tous les soirs, pendant quarante ans, le spectacle du vaudeville, en revanche d’autres observateurs parisiens l’ont bien à l’œil, dès sa première entrée en piste, comme les diables du bal de l’Opéra traquent la Torpille au début de Splendeurs et misères des courtisanes, et la percent à jour rien qu’en la nommant. Malgré sa volonté de tendresse compatissante à l’égard de son bonhomme, qui le fait hurler de rage quand on lui porte atteinte, c’est le regard que le narrateur adopte lui aussi pour partie, imitant les badauds sarcastiques, ravis de l’« entrée » de ce spécimen Empire conservé dans la naphtaline. Car, selon le jugement explicite de son créateur, qui ne le ménage guère, Pons est non seulement un mauvais interprète du théâtre du monde, mais il se compromet lui aussi en ayant recours, pour bien dîner, à la « monnaie de singe » des « grimaces sociales », habitué qu’il est à « ces formules de complaisance par lesquelles on remplace les sentiments dans le monde » (p. 493).
Mais derrière ces comédies de l’apparence, Balzac sait aussi débusquer les ruses du pouvoir et du vouloir, psychanalyste et stratège tout ensemble. Les ruses du pouvoir en acte, les manigances du jeu de go social, dont les futurs vainqueurs exploitent le terrain [11], cherchent des alliances, contournent l’obstacle, percent la moindre faiblesse de l’adversaire pourtant sur ses gardes, n’ont aucun secret pour lui. Quant au Balzac-Freud, ce n’est tant « psychanalyse des profondeurs » qu’il a ici en vue (qu’on retrouverait ailleurs, dans Adieu ou dans ses analyses de rêves, dont celui de César Birotteau), mais bien, comme le proposait Jean-François Lyotard, une économie libidinale. C’est bien cette science à venir qu’il pratique dans l’analyse des transferts de libido auquel est contraint Pons, trouvant dans ses bols alimentaires choisis « la monnaie d’une femme », comme le dit Balzac en une de ses formules quitte ou double :
[…] excepté les rares et vulgaires aventures de son voyage en Italie, où le climat fut sans doute la raison de ses succès, Pons n’avait jamais vu de femmes lui sourire. Beaucoup d’hommes ont cette fatale destinée. Pons était monstre-né ; son père et sa mère l’avaient obtenu dans leur vieillesse, et il portait les stigmates de cette naissance hors de saison sur son teint cadavéreux qui semblait avoir été contracté dans le bocal d’esprit-de-vin où la science conserve certains foetus extraordinaires. Cet artiste, doué d’une âme tendre, rêveuse, délicate, forcé d’accepter le caractère que lui imposait sa figure, désespéra d’être jamais aimé. Le célibat fut donc chez lui moins un goût qu’une nécessité. La gourmandise, le péché des moines vertueux, lui tendit les bras ; il s’y précipita comme il s’était précipité dans l’adoration des œuvres d’art et dans son culte pour la musique. La bonne chère et le Bric-à-Brac furent pour lui la monnaie d’une femme (p. 494-495).
Si l’insistance sur la libido gastrique vient de Brillat-Savarin (Physiologie du goût, 1826), le Balzac théoricien de la volonté la pousse plus encore, lui qui quantifie les flux d’énergie vitale mis en acte par le désir oral, sous l’action de ce « second cerveau » logé dans le diaphragme (p. 495). De même, si c’est de Diderot que viennent les calculs qu’il fait de l’énergie sexuelle qu’on dépense au détriment du génie, par une émission ruineuse de semence, le Balzac sexologue systématise cette théorie, en l’inscrivant dans la « mécanique humoristique », comme il dit. Il traque les complexes dus à l’inhibition sexuelle, tout en majorant en revanche les forces morales que donne la chasteté. Et il analyse les transferts d’énergie entre les divers sens, les raffinements despotiques du goût venant, chez Pons, suppléer le manque du plaisir sexuel.
Enfin, il y aurait beaucoup à dire sur la réflexion esthétique, ou plutôt sur la pensée pratique du roman qui court tout au long du texte. Comme toujours, Balzac pense le roman en écrivant Pons. Mais point d’esthétique abstraite ici, hors quelques rares endroits. Dans le contexte de vitalité compromise qui préside à la composition de Pons, l’art du roman devient lui aussi un exercice despotique, sexué, passionné. Loin de l’impartialité flaubertienne conquise péniblement dans les années 50, le narrateur signale sans cesse sa présence, par l’émotion, la surprise, le scandale, l’émerveillement. L’un de ses criants symptômes est un feu roulant de points d’exclamation, adressés au lecteur, signes d’un rapport empathique au monde qu’il crée, rendu par une phrase musicale montante. Déjà pourtant, à l’inverse, dans certains passages qu’il faudrait commenter de près, il s’adonne aux distanciations du style indirect libre [12], et, surtout, se décalant de manière critique du discours de ses personnages, compose cette œuvre-Babel [13], véritable opéra des langages, où la langue est en fête, mais où chaque art ajoute aussi sa partition.
« Commissaire priseur », « daguerréotypiste », c’est ce qu’on lui envoyait à la figure, vers la fin de sa vie, avant que Philarète Chasles en 1850 puis Baudelaire un peu plus tard [14] ne répondent victorieusement à ces attaques. Lui-même l’avait un peu cherché, c’est vrai, ne serait-ce qu’en demandant à la fin du roman qu’on excuse les fautes du copiste. Mais la réponse était déjà dans Le Cousin Pons : dans la manière dont Balzac y définissait la photographie naissante, non comme un art d’imitation, mais de divination, fondé sur la persistance spectrale des images. Aussi vais-je lui laisser – presque le dernier mot :
Si quelqu’un fût venu dire à Napoléon qu’un édifice et qu’un homme sont incessamment et à toute heure représentés par une image dans l’atmosphère, que tous les objets existants y ont un spectre saisissable, perceptible, il aurait logé cet homme à Charenton. […] Et c’est là cependant ce que Daguerre a prouvé par sa découverte. [..]. Ainsi, de même que les corps se projettent réellement dans l’atmosphère en y laissant subsister ce spectre saisi par le daguerréotype qui l’arrête au passage, de même, les idées, créations réelles et agissantes, s’impriment dans ce qu’il faut nommer l’atmosphère du monde spirituel, y produisent des effets, y vivent spectralement (car il est nécessaire de forger des mots pour exprimer des phénomènes innommés), et dès lors certaines créatures douées de facultés rares peuvent parfaitement apercevoir ces formes ou ces traces d’idées (p. 585).
Je n’ai pas la prétention d’être une de ces créatures, bien sûr. Mais au lieu d’oser véritablement bricoler Pons, puisque ce sera décidément à Bertrand Leclair de le faire et qu’il en a le talent, je me suis aujourd’hui contenté de me laisser faire par ces spectres, et de vous inviter, vous aussi, à vous laisser un peu bricoler par eux.
José-Luis Diaz
[1] Le Cousin Pons, éd. Anne-Marie Meininger, Paris, Garnier, 1974, p. i.
[2] La Mort de Balzac, suivi d’Une publication scandaleuse par P. Michelet et J.-F. Nivet, Tusson, Du Lérot, 1989, p. 47-48.
[3] « Allez-vous-en, dit la Cibot, vous êtes un monstre de me parler de ces choses-là, quand mon pauvre homme se meurt dans de pareils états… » (p. 712).
[4] « “Ma chère madame Cibot, voyons, rassurez-vous”, dit-il en lui prenant la main. Cette main, froide comme la peau d’un serpent, produisit une impression terrible sur la portière, il en résulta comme une réaction physique qui fit cesser son émotion ; elle trouva le crapaud Astaroth de Mme Fontaine moins dangereux à toucher que ce bocal de poisons couvert d’une perruque rougeâtre et qui parlait comme les portes crient » (p. 644).
[5] « Donc, dans la débine, elle s’a fait garde de femmes en couches, et n’alle demeure rue Barre-du-Bec. Elle n’a donc gardé comme ça n’un vieux monsieur, qui, sous votre respect, avait une maladie des foies lurinaires, qu’on le sondait comme un puits n’artésien, et qui voulait de si grands soins qu’elle couchait sur un lit de sangle dans la chambre de ce monsieur. C’est-y croyabe ces choses-là. Mais vous me direz : les hommes, ça ne respecte rien ! tant ils sont égoïstes ! Enfin voilà qu’en causant avec lui, vous comprenez, elle était là toujours, elle l’égayait, elle lui racontait des histoires, elle le faisait jaser, comme nous sommes là, pas vrai, tous les deux à jacasser... Elle apprend que ses neveux, le malade avait des neveux, étaient des monstres, qu’ils lui donnaient des chagrins, et, fin finale, que sa maladie venait de ses neveux. Eh bien ! mon cher monsieur, elle a sauvé ce monsieur, et elle est devenue sa femme, et ils ont un enfant qu’est superbe, et que mame Bordevin, la bouchère de la rue Charlot qu’est parente à c’te dame, a été marraine... En voilà ed’ la chance ! » (p. 604)
[6] « Bref, chacun, chez Balzac, même les portières, a du génie. Toutes les âmes sont des âmes chargées de volonté jusqu’à la gueule. C’est bien Balzac lui-même. Et comme tous les êtres du monde extérieur s’offraient à l’œil de son esprit avec un relief puissant et une grimace saisissante, il a fait se convulser ses figures ; il a noirci leurs ombres et illuminé leurs lumières. Son goût prodigieux du détail, qui tient à une ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir, de tout deviner, de tout faire deviner, l’obligeait d’ailleurs à marquer avec plus de force les lignes principales, pour sauver la perspective de l’ensemble. Il me fait quelquefois penser à ces aquafortistes qui ne sont jamais contents de la morsure, et qui transforment en ravines les écorchures principales de la planche. De cette étonnante disposition naturelle sont résultées des merveilles », « Théophile Gautier », L’Artiste, 13 mars 1859, Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1976, p. 120.
[7] « Il ne faudrait pas connaître Paris pour imaginer que les deux amis eussent échappé à la raillerie parisienne, qui n’a jamais rien respecté », p. 499.
[8] Voir mon étude ainsi intitulée dans Balzac dans l’histoire, actes du colloque de Tours du GIRB organisé par Nicole Mozet et Paule Petitier, Sedes, 2001, p. 263-280.
[9] « L’on a fait nombre de critique sur Balzac et parlé de lui de bien des façons, mais on n’a pas insisté sur un point très caractéristique à notre avis ; ce point est la modernité absolue de son génie. Balzac ne doit rien à l’antiquité ; pour lui il n’y a ni Grecs ni Romains, et il n’a pas besoin de crier qu’on l’en délivre. On ne retrouve dans la composition de son talent aucune trace d’Homère, de Virgile, d’Horace, pas même du De viris illustribus ; personne n’a jamais été moins classique. Balzac, comme Gavarni, a vu ses contemporains ; et, dans l’art, la difficulté suprême c’est de peindre ce qu’on a devant les yeux ; on peut traverser son époque sans l’apercevoir, et c’est ce qu’ont fait beaucoup d’esprits éminents. Être de son temps, rien ne parait plus simple et rien n’est plus malaisé ! Ne porter aucunes lunettes ni bleues ni vertes, penser avec son propre cerveau, se servir de la langue actuelle, ne pas recoudre en centons les phrases de ses prédécesseurs ! Balzac posséda ce rare mérite. Les siècles ont leur perspective et leur recul ; à cette distance les grandes masses se dégagent, les lignes s’arrêtent, les détails papillotants disparaissent ; à l’aide des souvenirs classiques, des noms harmonieux de l’antiquité, le dernier rhétoricien venu fera une tragédie, un poème, une étude historique. Mais, se trouver dans la foule, coudoyé par elle et en saisir l’aspect, en comprendre les courants, y démêler les individualités, dessiner les physionomies de tant d’êtres divers, montrer les motifs de leurs actions, voilà qui exige un génie tout spécial, et ce génie, l’auteur de la Comédie humaine l’eut à un degré que personne n’égala et n’égalera probablement », « Galerie du XIXe siècle. XIII, Honoré de Balzac. V », L’Artiste, t. III, 17e livraison, 25 avril 1859, p. 274-275.
[10] Voir Erving Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1979.
[11] Voir par exemple la manière qu’ont les femmes Marville de venir en avance au rendez-vous où va leur être présenté le « phénix des prétendus » : « Assez habiles pour éviter les difficultés d’une entrée en scène, les femmes vinrent les premières, elles voulaient être sur leur terrain » (p. 552).
[12] Voir par exemple la manière dont le rêve de Rémonencq est noté au style indirect libre : « Il voyait ainsi ses capitaux presque triplés, il pensait quelle excellente commerçante serait la Cibot et quelle belle figure elle ferait dans un magnifique magasin sur le boulevard. Cette double convoitise grisait Rémonencq. Il louait une boutique au boulevard de la Madeleine, il l’emplissait des plus belles curiosités de la collection de défunt Pons. Après s’être couché dans des draps d’or et avoir vu des millions dans les spirales bleues de sa pipe, il se réveillait face à face avec le petit tailleur, qui balayait la cour, la porte et la rue au moment où l’Auvergnat ouvrait la devanture de sa boutique et disposait son étalage […] » (p. 656).
[13] C’est dans une lettre à Delphine de Girardin que Balzac évoque La Comédie humaine comme « une tour de Babel, car il y a bien des patois là-dedans », janvier (?) 1846, Correspondance, éd. R. Pierrot, Paris, Garnier, t. V, p. 87.
[14] « J’ai mainte fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m’avait toujours semblé que son principal mérite était d’être visionnaire, et visionnaire passionné. Tous ses personnages sont doués de l’ardeur vitale dont il était animé lui-même. Toutes ses fictions sont aussi profondément colorées que les rêves », « Théophile Gautier », loc. cit., p. 120.