Il est toujours bon de relire ses classiques

Relisant César Birotteau du regretté Honoré de Balzac, je tombe sur ce passage que je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager. Balzac écrit cela en 1837. Rien n’a changé !

[…] Tondez le public ! Entrez dans la spéculation.
— La Spéculation, dit le parfumeur, quel est ce commerce ?
— C’est le commerce abstrait, reprit Claparon, un commerce qui restera secret pendant une dizaine d’années encore, au dire du grand Nucingen, le Napoléon de la finance, et par lequel un homme embrasse les totalités des chiffres, écrème les revenus avant qu’ils n’existent, une conception gigantesque, une façon de mettre l’espérance en coupes réglées, enfin une nouvelle Cabale ! Nous ne sommes encore que dix ou douze têtes fortes initiées aux secrets cabalistiques de ces magnifiques combinaisons.
César ouvrait les yeux et les oreilles en essayant de comprendre cette phraséologie composite.
— Écoutez, dit Claparon après une pause, de semblables coups veulent des hommes. Il y a l’homme àidées qui n’a pas le sou, comme tous les gens àidées. Ces gens-làpensent et dépensent , sans faire attention àrien. Figurez-vous un cochon qui vague dans un bois àtruffes ! Il est suivi par un gaillard, l’homme d’argent, qui attend le grognement excité par la trouvaille. Quand l’homme àidées a rencontré quelque bonne affaire, l’homme d’argent lui donne alors une tape sur l’épaule et lui dit : « Qu’est-ce que c’est que ça ? Vous vous mettez dans la gueule d’un four, mon brave, vous n’avez pas les reins assez forts ; voilàmille francs, et laissez-moi vous mettre en scène cette affaire.  » Bon ! Le Banquier convoque alors les industriels. Mes amis, àl’ouvrage ! des prospectus ! la blague àmort ! On prend des cors de chasse et on crie àson de trompe : « Cent mille francs pour cinq sous ! ou cinq sous pour cent mille francs de mines d’or, des mines de charbon.  » Enfin tout l’esbrouffe du commerce. On achète l’avis des hommes de science ou d’art, la parade se déploie, le public entre, il en a pour son argent, la recette est dans nos mains. […] Voilà, mon cher monsieur. Entrez dans les affaires. Que voulez-vous être ? cochon, dindon, paillasse ou millionnaire ?

26 janvier 2012
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