Le projet d’écriture
Le « réel » seul m’intéresse : son éclatement inhérent à la notion de point de vue, sa recomposition (donc sa transformation) au sein de la fiction. Sans réel, pas de fiction. L’imagination ? Je parlerais plutôt d’observation puis d’effet astringent du temps. Ensuite intervient le processus de raffinement des émotions brutes : cet aller-retour constant entre le monde et la page, la page et le monde, qu’on appelle l’écriture. Mais qu’appelle-t-on le réel ? Où s’arrête le récit ? Où commence la fiction ? Qu’est-ce que le documentaire ? Tout texte ne relève-t-il pas de la fiction ? Ces questions traversent sans cesse mon travail d’écrivain, tant en littérature générale qu’en littérature jeunesse.
Mes premiers romans, Le roi d’Afghanistan ne nous a pas mariés et L’ange anatomique, sont des recompositions salutaires de ce qui me clouait sur place. Mon dernier roman, Sollicciano, est une tentative de penser l’impensable dispositif carcéral des longues peines. Mes romans jeunesse, notamment Nassim et Nassima, Tao et Léo, et Recto Verso, donnent à lire aux enfants et adolescents des fictions leur permettant de décrypter l’actualité, qu’il s’agisse de la ségrégation garçon/fille à l’école, des expulsions de sans-papiers ou de la clandestinité d’un adolescent tunisien à Marseille suite à la révolution de 2010.
Rencontrer Galia Tapiero et découvrir le positionnement de KILOWATT éditions m’a amenée à questionner en profondeur les modes de restitution du réel et de transmission de la connaissance aux enfants.
Aujourd’hui, c’est donc vers la forme documentaire que je souhaite orienter mon prochain livre jeunesse, en écrivant un livre sur le thème du déplacement géographique. Il s’agira de donner à voir l’évolution de cette notion, des grandes découvertes au tourisme en passant par le commerce, le rituel du voyage initiatique fondement de l’éducation dans certains pays à certaines époques, etc. Bien sûr, il sera aussi question des mouvements migratoires actuels, qu’ils soient d’origine politique, économique, climatique, et c’est évidemment là que mon projet de résidence développé précédemment rejoint ce nouveau projet d’écriture documentaire.
Ce projet d’écriture implique non seulement une vaste recherche documentaire, mais aussi une réflexion précise quant au choix de l’angle d’approche. En effet, ce livre sera aussi précis que compréhensible par tous, étayé d’informations concrètes rendues accessibles à la jeunesse, articulées intelligemment pour que ce livre ne soit pas une accumulation de connaissances et d’exemples, mais bel et bien un ouvrage qui fasse sens et dise l’évolution d’une notion au cours des siècles, dans les différents territoires.
Je tiens (et ceci vaut pour chacun de mes livres jeunesse) à conserver la complexité de la notion dont je veux traiter (en l’occurrence le déplacement géographique) tout en la restituant de manière intelligible. Etre simple sans jamais être simpliste, ainsi pourrait résumer ma démarche.