Vrai ou faux ?


Biquette a tué ses sept maris. Vrai ou faux ?
Nathalie a commis un crime. Vrai ou faux ?
Henri a pleuré avec Brigitte Bardot. Vrai ou faux ?
Martine est la cousine de Nathalie mais, dans la « vraie vie », elle porte un autre prénom que dans le roman de Nathalie. Vrai ou faux ?
Fred a préparé un délicieux repas pour Jésus-Christ. Vrai ou faux ?
Nathalie a pris son petit déjeuner avec Mick Jagger. Vrai ou faux ?

Personne n’a de réponse à ces questions.
Tout ce que l’on sait et qui est tout à fait vrai, c’est qu’elle est venue, Nathalie Kuperman, un lundi de février, à l’atelier d’écriture du LHSS des Lilas.
Pour elle, en ce moment, depuis la sortie de son dernier livre chez Gallimard, Les raisons de mon crime, ce sont les invitations en librairie, les signatures, les radios, les télés.
Mais pour venir rencontrer celles et ceux de l’atelier, elle s’est arrêtée un peu.
Aussi pour écouter une lecture de leurs écrits.
Aussi pour nous lire quelques extraits des siens.
Et raconter l’écriture.

Et vrai, d’écriture, de liberté nécessaire, du caractère vital de cet acte-là, comme une respiration, et pourrait-on continuer de vivre sans respirer ?, Nathalie nous parle.
Et vrai, elle confie cette difficulté, aussi, de jouer avec la fiction et la réalité, ce danger qui brûle les doigts, sa façon à elle, périlleuse, de jongler avec deux feux.
Et lorsqu’elle a reçu ce coup de fil de sa cousine, elle avoue ce désir d’un plongeon immédiat vers l’inconnu d’une existence, la beauté de ce risque, et la certitude qu’une part d’essentiel allait se révéler sous ses mots à elle, et au-delà, peut-être, de ses mots, concernant leurs vies à toutes deux.
« Je vais écrire un livre sur toi. C’est un projet qui me hante depuis longtemps. Mais tu sais, ça va être dur. Et puis c’est tout de même moi qui l’écrirai, en fin de compte. Il y aura des mensonges, des inventions, tu m’en voudras, forcément, parce que je ne vais pas être tendre. Je m’en balance, de ta tendresse, ce que je veux c’est la vérité, que tu dises toute la vérité. » (p. 25)

Chacun est captivé, chacun s’interroge : Qu’a vraiment dit la cousine en question, celle de la « vraie vie » ? N’a-t-il pas été trop violent pour elle de voir se dévoiler au fil des pages toute la trame de son existence, des dérives de l’alcool aux petites manies, des amours rudes à la mort de sa mère ?
Fred se demande (Fred, dont le parcours pour quitter l’Ouganda a été toute une aventure, vrai) : Et si on écrivait un livre sur moi, serais-je d’accord ou pas ?
Et ce petit déjeuner avec Mick Jagger, c’est bien vrai ou c’est tout faux ?
La littérature n’a-t-elle donc aucune limite ? Hein, Nathalie ? Fred attend sa réponse.

Non, pas de limites, pas de murs élevés autour d’elle : la littérature est la liberté même, à condition que le respect soit là.
Et elle est avant tout le lieu de la rupture et de la faille,
où vient s’engouffrer l’inexploré de soi.
Et Martine, la cousine, elle est juste ravie que sa « vraie vie » entre les pages, malgré la crudité, malgré la vérité, en soit ainsi étonnamment transformée.

Chacun, on le sait, a sa fiction et sa réalité. Chacun, à l’intérieur, abrite son roman.
Et je ne sais rien de ce qui est vrai, rien de ce qui est faux, dans le récit que chacun, chacune peut me faire parfois de sa vie au détour d’une porte du LHSS ou d’un texte écrit à l’atelier.
Je ne veux pas savoir. Je m’en fiche bien, du vrai ou du faux.
Juste écouter ce qui est dit, ce qui s’écrit et qui bouge là, de son mouvement vif, sous le stylo Bic.
Car ce que nous cherchons dans l’écriture n’est-il pas la même chose que ce que nous cherchons dans l’existence : percer une ligne de fuite ?
« Perdre le visage, franchir ou percer le mur, le limer très patiemment, écrire n’a pas d’autre fin. […] La grande erreur, la seule erreur, serait de croire qu’une ligne de fuite consiste à fuir la vie ; la fuite dans l’imaginaire ou dans l’art. Mais fuir au contraire, c’est produire du réel, créer de la vie, trouver une arme. » (Gilles Deleuze, Dialogues – avec Claire Parnet).

À l’atelier du LHSS des Lilas, Nathalie Kuperman est venue et a offert ce qu’elle avait trouvé : une arme, une arme magnifique, une arme blanche, à faire passer de main en main.
Barbara, Dominique, Fred, Henri et Elisabeth s’en sont emparés.
Vrai.


5 mars 2012
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