écrire àla main 2 Bâtir pour crier plus fort

Bâtir pour crier plus fort

Il est admis que la naissance de l’écriture marque le passage de la préhistoire àl’histoire. Qu’avec ce changement, l’homme commence àlaisser des traces écrites et às’inscrire dans l’histoire. Certes, les premiers écrits étaient des livres de comptabilité, mais l’homme se mit rapidement àraconter des histoires.
Raconter des histoires, pourquoi est-ce devenu péjoratif ? Sornettes, balivernes, sottises, pipeau et autres foutaises. Raconter, néanmoins. Raconter des histoires le soir pour s’endormir VS raconter des histoires pour fuir quelque réalité. La fiction piétine la monotonie. Et la main s’agite.
Puis l’homme grave. Et peint. Sur ce qu’il trouve. Des roches, des murs, des outils, il communique, il témoigne. Il montre qu’il est passé par là, a observé, réfléchi, reproduit, imaginé. Et je m’interroge sur cet infime déclic, le petit courant qui a relié la tête àla main, a chatouillé cette main, resserré les doigts autour d’un instrument traçant. Je suis en quête de l’impulsion qui a mis le geste en branle, déclenché les micro-mouvements, les rotations et les hachures qui ont donné forme àl’idée, àla sensation, au message.
Si écrire, c’est communiquer, est-ce àdire que bâtir, c’est crier plus fort ? Que dresser des flèches vers le ciel, ériger des tours qui transpercent la voà»te céleste, c’est hurler ? Et laisser pendant mille ans de frêles flèches s’agripper àune charpente en bois millénaire, n’est-ce pas négliger l’écho de nos mots ? Ignorer son propre appel dont on sait qu’il ne résistera pas aux flammes ? De la pierre soutenue par des troncs vieux de mille ans, ne pas intervenir ànotre époque, ne serait-ce pas autoriser àconstruire demain sur du sable, brailler la tête dans le sable ? Plus vulgairement, pisser dans un violon ?
Le cœur alourdi par le chagrin de la nuit, assombri par le deuil de la dame rongée par le brasier, àpeine tiédi, je tente de reproduire ce geste, ce déclic, cette impulsion. De le retrouver en moi comme un instinct profondément enfoui. A la main, j’écris comme un cochon. Alors je recopie dans un fichier informatique pour mieux transmettre. J’écris àla main pour m’exprimer, capter et même dompter le fatras de ma pensée. Mais j’écris par l’intermédiaire du clavier pour communiquer. Par politesse.

Armée d’un stylo, je reproduis inlassablement le geste, je le sonde àla recherche de l’impulsion.

19 avril 2019
T T+