L’anniversaire d’un présumé né
Sur le coup de minuit, quelqu’un sonna à ma porte. À demi éveillé, je me levai difficilement du lit pour lui ouvrir. Un homme grand, roux, rond et moustachu, vêtu de gris, chapeau sur la tête et lunettes sur le nez, porteur de deux bouteilles de champagne et d’un gâteau, entra d’un pas décidé. Il passa au salon, posa le tout sur une petite table, placée devant un divan, et se dirigea rapidement vers la cuisine.
Pour ne pas gêner mes voisins, je refermai la porte sans bruit, puis je le rejoignis.
« Que veut dire tout cela ? lui dis-je, scandalisé, vous entrez chez moi à une heure indue et vous comptez visiblement, de surcroît, y finir votre soirée ! Et d’ailleurs, pour commencer, qui êtes-vous donc ? »
L’homme revint de la cuisine avec des verres qu’il déposa sur la petite table. Après quoi, il compta sur ses doigts, probablement le nombre de personnes qui devaient encore venir, et repartit à la cuisine chercher d’autres verres. Cette fois-ci, je le suivis en bloquant la porte, de façon à ce qu’il ne puisse ressortir sans m’avoir fourni des explications.
« Que faites-vous ? dis-je.
– Aidez-moi, au lieu de poser des questions idiotes ! Les autres arriveront bientôt, répondit-il.
– Qui sont les autres ? rétorquai-je.
– Nos amis. Et puis, dépêchez-vous de vous habiller afin de les recevoir convenablement », gronda-t-il.
Il me poussa et je dus lui céder le passage.
« À quoi rime toute cette histoire ? », me dis-je.
L’inconnu, traînant derrière lui une odeur de cuir, posa d’autres verres sur la petite table, se dirigea vers la fenêtre qui donnait sur la rue et y jeta un coup d’œil.
« Les autres ne sont pas encore là ?
– Nos amis ? dis-je.
– Oui », me répondit-il.
Il s’assit sur le divan.
« Mais dites-moi enfin ce que vous venez faire chez moi à cette heure-ci ? lançai-je avec emphase.
– Nous venons fêter votre anniversaire, répondit-il calmement.
– Je crois que vous vous êtes trompé de porte. Je suis désolé, mais ce n’est pas mon anniversaire, dis-je.
– Nous parlerons de tout cela plus tard. Pour le moment, préparons-nous à recevoir nos amis, fit-il.
– Êtes-vous bien sûr que c’est mon anniversaire ?
– Absolument ! répondit-il sur un ton sans réplique, en regardant encore par la fenêtre.
– Mais alors, dans quoi travaillez-vous, nos amis et vous-même ?
– Nous sommes officiers d’état civil », me répondit-il.
Là-dessus, je passai timidement dans ma chambre pour me changer. Puis je revins prendre place à côté de lui sur le divan. Nous échangeâmes, dans une odeur d’archive émanant sans doute de son parfum, quelques propos sur des sujets sans importance. De temps en temps, il se levait pour regarder par la fenêtre.
Je finis par lui dire :
« Et si nous commencions la fête sans eux ? »
L’inconnu s’assit sans répondre.
Le jour commençait à poindre. L’homme consulta sa montre, croisa ses doigts et se leva en s’étirant.
« Je crois bien qu’il y a eu un léger malentendu, dit-il. Mes amis sont sûrement quelque part à m’attendre, un verre vide à la main. »
Là-dessus l’inconnu reprit ses bouteilles et son gâteau en s’excusant et sortit de ma vie en laissant à jamais derrière lui l’odeur aigre de son bureau.