La Chapelle des insensé·es

Organisation le jeudi 16 juillet dernier d’une projection-discussion autour du documentaire Le Sous-bois des insensés de Martine Deyres (2015). Poursuite des réflexions avec les habitant·es du quartier sur la thématique « L’écologie, art du soin des relations ».

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Nous sommes huit dans la cave d’une librairie close, respectant les règles de distanciation sociale. Toutes et tous à plus de deux mètres de tout autre être.

Face à nous, virtuel, un vieux monsieur — sage et espiègle — raconte sa vie à une caméra. Une vie au service de la folie, à l’accueillir et la comprendre. Dans l’air confiné de ce sous-sol où l’on respire masqué, il donne l’étrange impression de s’adresser à nous directement.

« C’est d’abord l’hôpital qu’il faut soigner ! »

Tu m’étonnes… quand on refait le compte de la crise sanitaire qu’un cousin énervé de la grippe vient de nous faire traverser, on n’a pas trop de mal à se dire que notre société ne prend pas grand soin de ses hôpitaux (et pas beaucoup plus de ses personnels hospitaliers).

Soigner : "s’appliquer à" et "veiller sur".

Une attention particulière, teintée d’exigence et d’empathie. Un contre-don à la vie.

On regarde captivé les mots se dessiner sur les lèvres du vieux monsieur qui nous parle à l’âme en secret. Il ne parle pas de nous, pas à nous. Mais, savamment, chacun de ses mots est un écho. Une porte ouverte sur quelque chose de plus large et de plus grand.

Jean Oury a vécu et travaillé pendant plus de soixante ans à l’hôpital psychiatrique ouvert de La Borde. Jamais une porte fermée à clé. Jamais une case dans laquelle se faire enfermer. Et la gestion du quotidien par des collectifs soignants-soignés.

Exemplaire. De puissance et d’humilité. D’accueil et d’hospitalité.

Hospitalité, justement.

Ici à la Chapelle on en parle beaucoup, et on n’en voit pas assez — des élans populaires marginaux contre le rouleau du système. Car la grande ville est malsaine. Ne soigne pas comme il faudrait. N’en laisse ni le temps ni l’espace. Verrouille les possibles à coup de vitesse et d’individuel.

Une fois le film terminé — des souvenirs bienveillants dans la tête —, c’est exactement là que la conversation nous emmène.

Comment bien accueillir ? Et bien accompagner ?

    • …cueillir et compagner…

C’est là, bien sûr, que l’écologie nous rattrape. Pas de science des relations sans soin des relations. Pas de mutualisme sans care. Pas de justice écologique sans justice sociale.

L’humain et le non-humain sont dans le même bateau. Et prendre soin de son prochain doit s’entendre dans un sens élargi. Le prochain, c’est celui qui vient — et l’on ne sait pas toujours d’où, ni comment. Le prochain c’est l’autre. Simplement. Et tous les autres sont autrement autres dès qu’on accepte le fait d’être parfois étranger à soi-même.

La folie dès lors n’est qu’une modalité. Qu’une manière de vivre — une manière d’être vivant. Ni plus ni moins que la « normalité ». Ni plus ni moins qu’une jonquille, un corbeau, un scarabée.

Dans le sillage inspirant d’Oury, on en vient à se dire que tout ce qui compte, c’est donc de voisiner.
De côtoyer, d’accepter la coprésence, de s’ouvrir à l’altérité radicale, de ne pas refuser la perméabilité — condition première de tout changement, de toute évolution, de toute métamorphose.

Veiller à voisiner. S’y efforcer. Accepter que le monde qui se partage et fait de plusieurs mondes — des myriades de mondes qui ne se partagent pas tous aisément, mais dont on peut s’approcher. Et en s’approchant, faire attention de ne pas heurter, de ne pas blesser. Amener plus de lumière et de joie que d’ombre et désarroi.

Se faisant, aller jusqu’à la racine du soin. Y reconnaître l’une des matrices du vivant : l’entraide. Prendre la mesure de ces découvertes anodinement profondes. Envisager le vivant comme tissé de relations de solidarité — de solides altérités toutes reliées.

Inter-dépendre.

Et peut-être plus encore que de l’hôpital, voir que c’est du soin qu’il faut prendre soin.
Qu’au cœur de cette idée-là, il y a peut-être le cœur de la vie.
Le soutien désintéressé, l’amour parental, le don. Par-delà les espèces et par-delà les continents.

Que c’est une haute lutte que de défendre
Partout le soin
Pour que survivent librement tous les sous-bois des insensé·es

17 septembre 2020
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