Lire à la rue
A quelques mètres d’ici, dans une rue perpendiculaire, un homme s’est installé dans le renfoncement d’une boutique de seconde main. Il y a déposé un matelas sur une sorte de grande marche où se trouvent aussi une étagère et quelques livres, un parapluie retourné censé l’abriter — si seulement abri était le mot adéquat. Une chambre à ciel ouvert en pleine rue, livrée aux averses, aux rafales, aux insultes, aux pots d’échappement.
Allongé sur son lit de fortune autour duquel il a aménagé le peu d’espace disponible comme pour réinventer une chambre, cet homme lit. Le matin, l’après-midi, le soir, la nuit avec une lampe de poche ; des traités de philosophie, la presse de toutes les époques, de volumineux romans en poche, hier un « atlas géographique junior ». Se lève parfois pour refaire son lit, aller se dégourdir les jambes. Ne semble jamais parler à personne. Vit une vie de livres à la rue.
Et tandis que je terminais ce court texte, le vent s’est brusquement levé. Dans l’émission La revoir de Poésie et ainsi de suite par Manou Farine avec Valérie Rouzeau, la poétesse qui écrit debout et traduit assise ne dit pas dans quelle position elle lit, mais parle de manière éblouissante de ce que lire permet d’écrire. De ce que recycler les vers des autres permet de construire. Du presque rien, du rebus, de ce qu’un vers peut attraper au vol.
Et je me demande ce que cet homme qui vit/lit dans la rue conserve en lui de ses lectures. Et si parfois il écrit.