Gus Bofa et les collégiens de 2015
Dans le cadre de ma résidence au collège Rosa Bonheur, et grâce au soutien de madame Grosos, nièce de l’artiste, nous avons mis en place au collège une exposition des dessins de Gus Bofa. Une merveille !
Gus Bofa ? Les collégiens ne le connaissent pas, n’ont jamais entendu parler de lui, et bon nombre d’adultes non plus.
Le 2 août 1914, le soldat Gustave Blanchot (alias GUS BOFA) rejoint le 346ème régiment d’Infanterie. Grièvement blessé le 7 décembre 1914 au Bois le Prêtre, GUS BOFA est évacué sur l’hôpital de Toul.
En 1915, depuis son lit d’hôpital, GUS BOFA commence à dessiner pour les journaux, surtout pour « La Baïonnette », une collaboration qui durera jusqu’en 1920.
Les dessins de BOFA tranchent nettement sur ceux des autres dessinateurs. Il apporte un ton original, une sympathie apitoyée pour le soldat, dont il a brièvement partagé le quotidien. Ce qu’il dessine, ce sont les états d’âme, il montre la peur, la fatigue et la résignation des hommes pris dans un conflit qui les dépasse.
Le vernissage de l’exposition
Au cours du vernissage de l’exposition, six élèves de troisième ont lu des textes de Gus Bofa et nous avons tous été bouleversés par leur lecture.
Souvenez-vous
(de Gus Bofa)
dédié au Pauvre Con Du Front en retraite – mars 1938
Le 2 août 1914, vous avez pleuré entre les bras des femmes
pour la grande peine que vous leur faisiez
Vous croyiez que ce serait fini pour la Noël – vous en avez eu pour 4 ans !
4 ans de mort quotidienne dans le dégoût, l’angoisse, la peur animale, l’abrutissement et le désespoir
Ces 4 années vous les avez vécues seuls
Le monde vous avait abandonnés
Quand vous êtes revenus en permission, on ne vous a pas reconnus
Pour ceux de chez vous, vous étiez devenus les héros des tranchées
On vous enterrait vivants dans la légende
Entre vous, vous vous nommiez plus modestement les PCDF, les Pauvres Cons Du Front
[…]
20 ans après la guerre la plus immonde, la plus absurde, la plus inutile qu’ait connue l’humanité
On en prépare une autre, plus abominable encore
Le jour où cela cassera personne ne sera responsable
Jamais ne seront mis en cause l’orgueil, la duplicité, la sottise, la cupidité, la mystique absurde de la folie des politiciens et des diplomates
Chacun déjà rejette la faute sur son voisin et plaide la peur
On arme partout les peuples
On se résigne à l’inévitable
Le système nerveux de nos contemporains est à ce point détendu ou surmené qu’ils ne peuvent plus réagir
Constamment baignés dans une peur vague que renouvellent et nourrissent chaque jour les titres de leur journal, ils ne distinguent plus le réel de l’imaginaire
Accoudés au balcon du monde, comme s’il ne s’agissait pas d’eux-mêmes, ils regardent passer les événements, attendent les catastrophes éventuelles – remous inertes d’une époque spectaculaire et dangereuse
Vous êtes, par le nombre, quelque 30 millions d’hommes encore valides, qui avez fait la guerre
Si vos vieilles peaux valent encore d’être sacrifiées à un idéal
Si votre prestige est encore assez grand, pour qu’un geste de vous soit respecté
Levez-vous ! Appelez à vous tous vos camarades d’Europe, les PCDF d’Allemagne, d’Angleterre, de Serbie, d’Italie, de Belgique
Et criez à l’Europe démente ASSEZ !
ASSEZ !
Nous en avons assez !
Tous les peuples veulent la paix
Non pas des discours sur la paix
Des conférences pour la paix
Des congrès pour la paix
Des commissions et des sous-commissions pour la Paix
Mais la Paix toute simple qui ferait, en Europe, le bonheur de 300 millions de braves bougres
Nous nous foutons de l’habileté des diplomates, de l’astuce des hommes d’Etat, des plans politiques, des intérêts de la grosse industrie, de la gloire des généraux, des rêveries des dictateurs de tout poil
Nous voulons la paix et que nos fils meurent dans leur lit.
Les ateliers d’écriture autour des dessins de Gus Bofa
Les élèves ont choisi des dessins qu’ils ont légendés ou à partir desquels ils ont écrit de courts dialogues. Où l’humour grinçant du dessinateur de la Grande Guerre rencontre celui des collégiens de 2015…
Veuillez m’excuser, misérable soldat, nous venons vous annoncer que la fin est proche.
La fin de quoi ?
De votre séjour à l’hôpital.
Roxane
Patrick : Bon, allez Robert, arrête un peu de jouer et va au combat où tes hommes t’attendent.
Robert : Attends, encore cinq petites minutes.
Patrick : Non, ça suffit maintenant !
Robert : Attends !
Patrick : Tu comprends pas que ça me soûle !
Robert : Qui te soûle ?
Patrick : Toi, prends tes responsabilités.
Robert : Mais je les prends.
Patrick : Non tu ne les prends pas.
Robert : Bah tu vois bien, j’ai mes habits de soldat, donc oui je les prends mes responsabilités ! Euh… en fait, non j’ai peur de la guerre. J’ai peur de mourir. A la guerre il y a trop de sang. Trop pour moi. La guerre c’est barbare. On part à la guerre bêtement, pour son pays, mais le pays, lui, il nous donne quoi en échange ? A la guerre, tu vois tes amis mourir et tu dois te taire ! Et puis on revient rarement de la guerre. Et à la guerre on doit tuer et moi j’aime pas ça.
Aurélie
Jean : Tu fais quoi, là, Paul ?
Paul : Tu permets, j’ausculte un patient.
Jean : Ha ha ha !
Paul : Oh mais chut !
Jean : Arrête, c’est un squelette.
Paul : Mais non.
Jean : Tu deviens fou mon vieux.
Paul : Rooh, laisse-moi.
Jean : Non, t’es fou, vraiment, il est mort.
Paul : Il est pas mort, sinon je ne l’ausculterais pas.
Jean : Je te jure, c’est un squelette ! Il est mort !!
Paul : Tu crois vraiment que j’ausculterais un mort ? Je sais ce que je fais Jean et je n’ai pas besoin de ton aide. Tu es là à me regarder comme si j’étais fou, alors que toi-même tu es le pire imbécile, donc retourne chez toi ! Tu crois toujours que je suis fou, tu ne fais que me rabaisser, je vais partir, Jean, tu ne me verras plus du tout.
Lisa
Michel : Hugo, dépêche-toi.
Hugo : J’arrive.
Michel : Ça fait trente minutes que tu me dis « J’arrive »
Hugo : Rooh, ça va, j’arrive, j’arrive.
Michel : Allez, cours.
Hugo : Encore une fois et je ne viens pas, OK ?
Michel : Pourquoi tu ne veux pas venir ? On a besoin de toi, nous !
Hugo : Mais vous pouvez vous débrouiller sans moi, non ?
Michel : Allez, courage !
Hugo : Vous comprenez pas que j’ai peur ?
Michel : Mais t’as peur de quoi ?
Hugo : De la guerre ! Peut-être que vous trouvez ça ridicule, mais j’ai peur, ça arrive à tout le monde d’avoir peur, peur de la mort, peur de ne pas rentrer chez moi, de ne pas revoir ma femme et mes enfants, j’ai peur et personne ne me fera changer d’avis. Ça arrive à tout le monde d’avoir peur, d’être démuni, d’être tout blanc, d’avoir des gouttes de sueur sur le front, car la peur nous envahit, et d’avoir l’impression de ne plus avoir de force, d’avoir mal au ventre, comme si on avait une boule, d’avoir la peau toute fripée, car la sueur nous l’a mouillée, d’être affaibli, d’avoir un mal de tête à force de penser, de penser à la peur.
Maxence