La compagnie de Bachelard par Béatrice Libert



Il est là, à ma gauche, sur l’étagère, à portée de main, à côté de Roland Barthes, ce cher Bachelard. Lecture prépondérante. Découverte sauvage et gourmande à l’âge mûr, en dehors de toute invite professorale. Un frère poète me parlait comme personne ! J’avais alors déjà derrière moi une expérience passionnante de lectrice. Je m’étais avancée sur le terrain de l’écriture sans savoir vers quels avènements me conduiraient les chemins scripturaux. Lire Bachelard fut un bonheur ; le relire aussi d’ailleurs. En ce domaine, rares sont les essais, dépourvus de pédantisme, capables de me « soulever », étudiant avec force et simplicité les méandres de la pensée poétique. Bachelard le réussit, structurant sa conduite et la nôtre, jalonnant son passage et le nôtre, nourrissant notre éveil.

« La flamme d’une chandelle » me fascina. J’aime m’environner de lampes que ma conscience écologique me contraint, hélas, d’éteindre plus souvent qu’à mon gré. Je peux ouvrir l’ouvrage où que ce soit, une phrase m’enchante et m’ensemence : « La flamme est une verticalité habitée. Tout rêveur de flamme sait que la flamme est vivante. » Ou bien encore « La flamme n’éclaire pas sa base ».

Habité par le cosmos, ce visionnaire a su conserver le ton de la confidence pour nous faire partager ses convictions humanistes. Écologiste avant l’heure, il nous rappelle les valeurs matricielles des éléments pour que nous en tirions mieux être et mieux dire.

Et quel enchantement, son style ! Dans sa toute puissance exégétique, l’auteur de « L’eau et les rêves » se révèle peut-être le meilleur poète d’entre nous.

A-t-il influencé mes écrits ? Vraisemblablement, mais peut-être encore davantage ma force méditative et mon attachement irréductible aux valeurs naturelles. J’ai toujours vécu environnée de jardins. Et, pour parodier Rimbaud : « main à plume vaut main à binette ». Ses pages rappellent le lien profond qui nous attache à la Terre-Mère, son importance séminale et pacificatrice dans le déroulement méditatif.

Grâce à ses écrits, j’ai en outre appris à aimer contradictions et paradoxes. J’ai renforcé mes convictions littéraires et consolidé ma parole poétique. « Tous ceux qui mettent au seuil de leur matinée l’aurore verbale d’un beau poème », me comprendront. Eveillant « un invincible désir d’être relu », l’œuvre de Bachelard nous parle plus que jamais.

Je lui sais gré d’avoir fécondé durablement ma pensée et ma rêverie. D’ailleurs, je songe souvent à lui lorsque me traversent de vastes paysages ou lorsque, le poème accompli, je relis le chemin de ma pensée, cherchant sous les mots, le rayonnement de mon être primitif.



Béatrice Libert
Liège, ce 8 juillet 2010.

11 août 2010
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