Un atelier d’écriture : le lieu d’une écoute.

par Amina Danton, en résidence à la médiathèque de Gentilly en 2011,
dans le cadre du dossier transversal "ateliers d’écriture en résidence"..

En résidence l’an dernier, je me souviens de mon obsession d’être utile aux habitants de la commune où j’habite, (tout près d’une station de ReR), et où l’éducation populaire n’est pas une vaine figure de style. Être utile avec un projet concernant « les transports que nous en commun », qui consistait principalement à explorer comment on vivait cet intervalle, entre deux stations, qui définit un « trajet ». Chacun ayant une manière unique de vivre son « trajet », ayant également vécu ou observé des scènes qui pouvaient s’assimiler spontanément à du théâtre. J’ai intégré à la résidence un atelier d’écriture, qui allait permettre de mettre en commun des expériences vécues dans les transports, et de le jouer.

J’ai travaillé avec un groupe de 12 personnes de tous âges (allant de 80 à 22 ans !), deux heures, le samedi après midi, dans la salle d’animation de la médiathèque. Jamais, au grand jamais, je n’aurais imaginé « animer » ou « diriger » quoi que ce soit, encore moins un atelier d’écriture, puisque à mes yeux l’écriture ne s’apprend pas, qu’il n’y a pas de recettes, de mode d’emploi, en ce domaine, même s’il ne s’agit pas non plus de sacraliser ou d’idéaliser le travail d’écriture.

C’est à cet aspect de travail que je me suis arrimée pour aborder cette première expérience d’atelier d’écriture. Se laisser « travailler » par l’écriture c’est peut-être avant tout créer les conditions d’une écoute. Je n’avais aucune expérience en ce domaine, encore une fois je ne crois pas à un « modèle » d’atelier, à de quelconques recettes. Mais je crois à l’écoute, à ce qu’elle génère, à ce qu’elle permet. Notamment de faire émerger en soi un sujet mystérieux, lié à la lecture, comme à l’écriture, un sujet qui n’est pas « moi » même s’il dit « je ».

J’ai donc exposé lors de la première séance ce qui me paraissait aller dans le sens d’une écriture liée au théâtre, (ce qui m’attire dans le théâtre et en même temps m’échappe toujours, il faudrait y revenir, mais il me parait évident que les questions proposées en atelier rejoignent celles qu’un auteur se pose dans son propre travail), et nous sommes passés très vite à l’exercice, à la pratique. Chaque personne écrivait, se lisait à voix haute, chaque personne alternativement écoutait et était écoutée. À travers chaque texte, se faisait jour une sensibilité, une manière de dire étant une façon de voir les choses, de les vivre. Et il m’est apparu très vite que mon travail consistait à respecter chaque voix, presque chaque inflexion de voix, de façon à permettre l’éclosion d’une écoute. Permettre donc aux rencontres entre des « sujets mystérieux » de se faire, par le biais de cette écoute mutuelle, fut peut-être ma plus belle expérience au sein de l’atelier. Je relie la pratique de l’écriture à une pratique de l’écoute, dont la voix est le lieu.

Il s’est agi parfois de sortir les participants du « récit », de la « description », de « l’intrigue », pour les pousser vers le « théâtre », en faisant sentir concrètement, à partir d’exemples pris dans leurs textes, la différence. Mais, à vrai dire, l’aventure a pris, le groupe s’est formé, sans que j’ai eu l’impression de faire grand chose, ayant même eu la sensation très nette que ma position consistait principalement à me tenir en retrait. Un retrait bienveillant, qui encourage, qui écoute, qui soutient, qui oriente parfois. Donc un retrait très actif, comme quelqu’un qui resterait vigilant en gardant les paupières mi-closes.
En un sens, bien peu de choses, oui : donner quelques directions de départ, les plus claires et les plus brèves possibles, et se tenir en retrait, pour suivre le courant et faire apparaître, dans chaque texte, ce qui se dit. La pratique de l’écriture favorise les rencontres, notamment avec un lecteur. J’ai donc été attentive à faire de chacun, de chacune, un lecteur, tout autant qu’un « écriveur », montrant ainsi la solidarité des deux pratiques, lire-écrire. Écrire, n’est-ce pas déjà répondre déjà à certaines de nos lectures, et lire, lire de près, n’est-ce pas déjà une façon de découvrir l’écriture ?

Je dirais, pour finir, que l’absence de suppositions, d’informations, ma légère incrédulité même par rapport à toute espèce de « leçons d’écriture » (car bien qu’ayant obtenu un Doctorat de Littérature, j’ai commencé par être autodidacte, j’ai commencé mes études de lettres à 25 ans) cet esprit autodidacte m’aura sans doute permis de créer les conditions favorable à l’éclosion d’une écoute mutuelle, attentive, exigeante. Je crois à une certaine qualité de silence, qui permet à chaque voix d’émerger, de se trouver grâce aussi à celle des autres, et de circuler.

Le groupe a d’ailleurs tellement bien « fonctionné », — un groupe et un texte « fonctionnent », « marchent », s’il y a une solidarité entre ce qui se dit et ce qui se vit —, qu’il a souhaité se reformer cette année. J’anime donc un autre atelier d’écriture à Gentilly, (autour de la notion de « suspense ») avec le sentiment , encore une fois, qu’il s’agit d’une histoire de « présence », beaucoup plus que de métier, une présence qui oblige à rester réveillé. À suivre…


Atelier d’écriture à Gentilly au sein de l’association RVM « Rencontre Voix Mouvement ». Tout public. (Renseignements au Service Culturel de Gentilly. Isabelle Clément : 01 41 24 27 10)

Photo d’illustration : Isabelle Adjani dansWampyr (Werner Herzog, 1979).

12 juin 2012
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