Confinement et résidence d’écriture
19 mars 2020. Depuis quatre jours, je subis comme tout le monde une brutale décélération. Rétrospectivement, mon agenda m’effraie. À la suite d’une rencontre annulée à la médiathèque de Malakoff (où j’étais invité par une autre résidente d’Île-de-France, l’illustratrice Irène Bonacina), j’avais une journée d’atelier d’écriture à Puteaux, deux jours à Meaux, une grosse réunion de travail à Nantes, puis trois jours à faire le ping-pong entre le salon du Livre de Paris et le festival Sidération de l’Observatoire de l’espace avant de m’envoler en Suisse pour une semaine de rencontres scolaires itinérantes dans tout le pays. Comme toujours la précarité économique, la peur de ne pas pouvoir boucler mes fins de mois, l’envie d’aider mes enfants étudiants, l’inquiétude du jour où plus personne ne m’invitera… m’avaient poussé à accepter trop de rencontres et trop d’ateliers.
Depuis mon retour de Paris, samedi matin dernier, je suis chez moi, dans mon petit village du Sud Loire, entouré des vignes du muscadet. Si lundi, la circulation était encore normale, elle s’est peu à peu réduite. Je n’entends pas plus les oiseaux que d’habitude, la vigne nécessite de l’entretien maintenant que les beaux jours reviennent : les tracteurs ronronnent au loin ; et les voisins profitent de leur confinement pour passer la tondeuse, s’occuper de leurs jardins.
Plusieurs amis comme des personnes croisées au bureau de tabac-dépôt de pain-caviste-épicerie du village me disent que le confinement ne change pas grand-chose pour moi, je vais pouvoir écrire tranquillement. Or, depuis samedi, je peine à écrire, justement. Au début, il a fallu s’organiser, répondre aux dizaines de messages d’annulation, imaginer des reports hypothétiques, faire les comptes aussi parce que ce confinement – s’il dure – sera une catastrophe économique pour moi comme pour tous ceux qui n’ont pas de statut salarié et n’ont pas droit au chômage. Ensuite, je me suis rendu compte qu’il m’était impossible d’écrire. J’ai besoin de temps, j’ai besoin que reflue un peu la stupeur et l’hébétude, la léthargie provoquée par la situation. Je lis – hypnotisé – les journaux en ligne, je prends des nouvelles des amis et de la famille – l’une de mes filles est confinée à Nantes, l’autre à Rennes, mon fils est à la maison, mon père lutte contre une autre saloperie de maladie noire pas loin de Mont-de-Marsan avec ma mère, immunodéficitaire, handicapée à 80 %, dépendante. Je reconnais cette sensation d’engourdissement un peu stupide, je l’ai éprouvée le 11 septembre 2001, le 7 janvier 2015 après Charlie Hebdo, le 13 novembre 2015 après les attaques suicides dans Paris. Je sais qu’il faudrait couper les infos, les réseaux sociaux ; je sais que ces crises effroyables sont aussi terriblement séductrices : impossible de détourner le regard.
Le confinement n’est pas une résidence d’écriture, je peine à écrire, je peine même à lire. Je m’occupe, je bricole, je téléphone (moi qui n’aime pas parler au téléphone), l’écriture viendra plus tard, je le sais, je me connais, je n’ai pas de commentaires à faire à vif. Il faudra plus tard à nouveau se demander dans quel modèle de société on souhaite vivre et sans doute écrire là-dessus. Pour l’instant, mon roman en cours me semble un peu dérisoire comparé au réel.
Le mois dernier (il parait loin ce mois dernier), pour ce projet de roman, je passais la matinée avec le responsable du service juridique du Centre National d’Etudes Spatiales. J’avais des questions à lui poser sur le cadre légal de certains projets mégalomanes, comme celui d’envoyer mille fusées sur Mars d’ici 2040 développé par la société SpaceX d’Elon Musk. Philippe Clerc, en bon juriste, me glissait entre les mains le Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes adopté par l’ONU le 19 décembre 1966, et il attirait mon attention sur l’article IX [1] où il est précisé que l’exploration spatiale doit respecter obligatoirement un principe de non-contamination mutuelle. L’idée est simple : on ne dépose pas sur Mars des virus terrestres pas plus qu’on introduit sur Terre d’éventuels virus extraterrestres. Les échantillons ramenés de la Lune sont restés en quarantaine jusqu’à leur analyse. Avoir des fusées qui décollent de la Terre, se posent sur Mars, redécollent pour revenir sur Terre enfreint gravement ce principe de précaution. Nous avions conclu la discussion en nous demandant si la non-contamination serait un frein ou non, la question était restée ouverte. On se souviendra que c’est un virus contaminant les Martiens qui sauve l’humanité dans le roman La Guerre des Mondes d’H.G. Wells. Sans vouloir jouer les devins – je crois que ce qui se passe actuellement m’offre une réponse. En définitive, le Covid-19 va peut-être mettre un coup d’arrêt aux projets spatiaux privés et faire comprendre à celles et ceux qui rêvaient déjà d’abandonner la Terre pour aller vivre ailleurs que nous avons tout intérêt à soigner notre berceau commun.
[1] Article IX : En ce qui concerne l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, les États parties au Traité devront se fonder sur les principes de la coopération et de l’assistance mutuelle et poursuivront toutes leurs activités dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, en tenant dûment compte des intérêts correspondants de tous les autres États parties au Traité. Les États parties au Traité effectueront l’étude de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et procéderont à leur exploration de manière à éviter les effets préjudiciables de leur contamination ainsi que les modifications nocives du milieu terrestre résultant de l’introduction de substances extraterrestres et, en cas de besoin, ils prendront les mesures appropriées à cette fin. Si un État partie au Traité a lieu de croire qu’une activité ou expérience envisagée par lui-même ou par ses ressortissants dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, causerait une gêne potentiellement nuisible aux activités d’autres États parties au Traité en matière d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, il devra engager les consultations internationales appropriées avant d’entreprendre ladite activité ou expérience. Tout État partie au Traité ayant lieu de croire qu’une activité ou expérience envisagée par un autre État partie au Traité dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, causerait une gêne potentiellement nuisible aux activités poursuivies en matière d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, peut demander que des consultations soient ouvertes au sujet de ladite activité ou expérience.