Le 22, au Père

Rendez-vous le 22 septembre prochain, à midi, devant l’entrée principale du cimetière du Père-Lachaise, côté boulevard de Ménilmontant, pour une promenade performée de François Durif.

Robert Bresson, Le diable probablement, 1977

Promenade au Père – père coupé de son assise – ou comment produire du temps, ou comment couper le temps, occuper son temps, ou comment n’avoir pas peur de perdre son temps.
Par où commencer, par quelle entrée entrer, de quel côté je vous convie cette fois-ci. Voudrais pas me répéter, refaire ce que j’ai déjà fait, redire ce que j’ai déjà redit, remettre mes pas dans ceux d’à côté. D’autant plus que c’est le coup d’envoi de la résidence d’écrivain, le premier tour de chauffe. Pas intérêt à me planter. Soudain à l’arrêt. Soif.

Le 22 au Père, comme si vous y étiez. Du reste, nous ne sommes pas là pour rentabiliser notre temps. Pour cette première virée, je ne vous demanderai pas d’argent, c’est le Conseil Régional qui rince, il va m’arroser ainsi pendant dix mois, dans l’espoir que je ponde un truc qui marche. Autant aller se promener dans un cimetière et tourner le dos à sa table de travail et se pencher sur les tombes de celles et ceux qui en ont fini avec leur labeur, le lent décompte des heures... Bileux-anxieux comme je suis, je ferai de mon mieux, vous pouvez compter sur moi. Entre nous, ma conscience, elle est vite bue, et mes pensées ne durent pas. De la buée, je vous dis.

Le temps de la promenade, nous formerons une micro-communauté, nous laisserons affecter par tout ce qui nous sautera aux yeux, au nez, aux oreilles, n’importe quoi, même les brindilles et traces brillantes des escargots sur les tombes, nous les regarderons affectueusement, elles ne nous laisseront pas indifférents. Nous ? Oui, vous et moi, eux et moi, comme vous voudrez.
Le petit dernier, mis à nu par son Père même. Promenade au Père, qu’ils disent. Qui, le désir, arrête ? Qui le désire, arrête ? Si tu déplaces une virgule, le sens change, tout change. Si tu te coupes du nom du Père, t’es tout nu, tu sais plus où te mettre, tu n’as plus qu’à cheminer entre les tombes. Que tu nommes tes virées « promenades performées » ou « performances promenées », ça ne change pas grand-chose et tout le monde s’en fout.

Quand on se rend au cimetière, on a envie de respirer le bon air, on est plutôt d’humeur à se taire, on marche bras ballants ou mains nouées dans le dos, pour coïncider à l’image de quelqu’un qui se promène dans les allées d’un cimetière – léger et grave, traversé lui-même par des pensées, bonnes et mauvaises, de celles qui font pencher la tête et ralentir le pas.

Si je m’échauffe en écrivant ? Si c’est le désir de parfaire une parole qui me pousse à écrire ? Si je performe ? Performer, c’est perdre la forme, c’est faire quelque chose avec la perte, c’est faire de la place pour qu’une forme advienne, c’est déblayer, c’est faire quelque chose avec les miettes, c’est aussi bien s’abstenir de faire quelque chose que s’en tenir au presque-rien. Je n’écris pas pour performer, j’écris pour m’échauffer. Agir là où l’on ne m’attend pas, s’il se pouvait. Au vu de mon passé dans les pompes, c’est vrai, ma venue au cimetière est attendue, mes promenades au cimetière sont périmées, il ne tient qu’à moi de me déplacer à l’intérieur du dispositif même du cimetière, en y proférant une parole autre que celle que l’on attend d’un croquemort défroqué. Je ne suis plus maître de cérémonie, ne l’ai jamais été. Je n’ai pas plus d’assise ici qu’ailleurs. C’est de l’intérieur que vient le mouvement… grand vent, grand remuement. Je ne sais pas si je suis une personnalité « as if », comme mon nom l’indique, mais je voudrais bien bricoler quelque chose qui me donne l’impression de m’être dégagé du temps. « Du bon temps », c’est cela qu’il nous faut, c’est ce que m’avait indiqué la conseillère pôle emploi lors du premier entretien, au sortir de mon expérience dans les pompes funèbres. Allons, promenons-nous dans les bois, allons au Père-Lachaise, personne ne nous y attend.

8 septembre 2019
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