« Les ateliers sont un des lieux de vie de la littérature »

Ateliers d’écriture et résidence – Frédéric Forte


J’anime très régulièrement – et c’est même une de mes principales sources de revenus – des ateliers d’écriture, depuis environ 10 ans, date qui coïncide avec mon entrée à l’Oulipo. Les ateliers que je propose sont d’ailleurs conçus essentiellement sur le modèle oulipien (approche formelle, contraintes, procédures…). Je n’y ai pas été formé autrement qu’en assistant dans les premiers temps mes camarades de l’Oulipo Jacques Jouet, Hervé Le Tellier, Marcel Bénabou ou Ian Monk, c’est-à-dire en coanimant régulièrement avec eux. L’Oulipo est réellement un collectif où les pratiques des uns nourrissent, influencent, enrichissent celles des autres. J’ai par exemple très vite développé mes propres outils. Et l’animation d’ateliers est devenue une activité professionnelle pour moi à partir de 2008, année où j’ai cessé toute activité salariée. Et en y pensant, je me rends compte que je n’ai jamais participé à un atelier autrement qu’en l’animant (mais j’écris aussi pendant mes ateliers et me sens alors un « écrivant » comme les autres).

Dans le cadre de ma résidence Cité des cartes à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée, je propose un très grand nombre d’ateliers de formats très divers à des publics très divers (étudiants de différences filières, usagers des médiathèques, lycéens, personnel de l’Université). Toutes ces propositions tournent autour de la thématique de la résidence : l’écriture des lieux. Si j’aborde mes ateliers avec des formes communes à tous les groupes (mais pas uniquement) c’est dans l’idée que la diversité des participants va permettre d’engendrer des textes différents. Une idée très formelle : une même forme poétique, par exemple, suscite selon les personnes des poèmes très variés dans leurs tonalités, leurs registres.

Ayant quelque expérience dans ce domaine, je sais souvent à quoi je peux m’attendre. L’enjeu est donc plutôt pour moi de susciter de l’inattendu, de lancer des propositions qui sont peut-être neuves pour les participants mais qui peuvent aussi potentiellement produire des réponses neuve, inattendues pour moi. Si l’atelier devient une routine, s’il n’est pas un laboratoire d’expérimentation et de création, alors il perd à mes yeux tout intérêt.

Je ne produis en général pas, en atelier, de poèmes qui vont se retrouver dans mes livres, mais il y a des exceptions (notamment, dans cette résidence, avec l’expérimentation d’une forme poétique que je nomme « rhumbs » et qui va donner lieu très prochainement à un fascicule de la Bibliothèque Oulipienne). Les ateliers sont néanmoins toujours, selon moi, un lieu de questionnement aigu, par la pratique et l’échange, de la littérature et de la poésie. Je ne peux qu’espérer que cela fasse réfléchir les participants, mais je suis en tout cas certain que cela enrichit ma propre réflexion, mes propres pratiques de poète. Je m’y considère comme un passeur (de poésie particulièrement) mais aussi comme un apprenant. Tout simplement parce que sur le plan humain, j’y fais très souvent des rencontres remarquables, parce que je trouve parfois là des réponses que je n’aurais pas su trouver seul à mon bureau (je n’ai pas de bureau, qui plus est).

Les ateliers sont un des lieux de vie de la littérature, où peut s’éprouver, par la pratique, le travail d’auteur, où l’on nourrit aussi différemment son expérience de lecteur. Les textes produits en atelier peuvent ne valoir que dans le temps de leur écriture, de leur lecture aux autres participants. C’est déjà formidable. Ils peuvent aussi, et c’est ce que je me suis efforcé de mettre en place tout au long de cette résidence, participer à un projet plus large, collectif, où, d’un temps à un autre, d’un public à un autre, s’élabore une sorte d’œuvre diffuse, qui possède un centre (l’écriture par des procédés communs autour d’un même territoire) mais pas de cadre unique : certains ateliers ont donné lieu à des lectures publiques, d’autres (lors d’une semaine avec des étudiants de l’Institut Français d’Urbanisme) à des installations dans l’espace, des objets éditoriaux singuliers, d’autres encore à des projets de créations radiophoniques ou de sites d’art numérique.

J’aime l’idée que ces expériences touchent durablement certains des participants, nourrissent leurs projets, leurs réflexions. Elles me touchent et me nourrissent sans aucun doute.


23 novembre 2015
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