Le Grand Métro

1
Son mollet soyeux a la courbure de la croupe de Betty Boop. Son manteau tombe juste au dessus-du genou, laissant apprécier cette moulure étincelante. Elle a souligné ses lèvres jusqu’àmarée haute, elle est humeur d’orage. Sur ses cheveux de crépuscule, un béret, porté de guingois, elle est Américaine, côte Ouest.
2
Il est enveloppé dans son loden comme un capitaine dans son caban d’inspection. Épinglé au revers, un honneur, ruban rouge cheval auquel il est le seul - avec sa femme peut-être - àaccorder de l’importance. Sur son visage, la sévérité des jours de remise de prix.
3
Sa parka est àmotifs électriques, son rictus foudre. Un animal sauvage, déchu, orne la capuche, le reste est artifice, sauf le rembourrage, coton équitable. Plateforme des chaussures, barre centrale, le wagon est une scène.
4
Sanglé dans son blouson cuir deux-roues, il a le ventre rond du Saint-Bernard qui aurait avalé son tonneau de schnaps. Il se tient àune barre aérienne tandis que la rame remonte la pente en cahots. Ses yeux se plissent de brouillard.
5
Elle se réveille. Elle a l’élégance d’une contrebasse dans l’écrin de son étui. Dans ses oreilles, le concert d’un soir d’été lutte contre le fracas des rails. Sur le côté de sa cuisse, les doigts révisent leurs gammes.
6
Verbe haut, visage couleur vase de rivière, revendications érodées, comme sa voix. Cheveux suie des tunnel, avec cette même brillance suspecte, révélée par l’éclairage plafonnier. Godillots de pêche infortunée, bouche béante. Tintement des aumônes contre le carton gobelet. Regards pingres.
7
Talons vacillants, elle s’élance vers des portes qui ne savent que se refermer. Colère d’une bombe àretardement. Un galant brise le sort. Elle s’insère dans le wagon tel un pied gonflé dans une chaussure àla mode, le chausse-pied en moins.
8
Debout lors du pic, assis lors du reflux. Lunettes d’astres sectionnés en deux dans le cosmos grêlé de son visage. Pelage lustré du costume élégant rehaussé par la cravate épinglée. Chaussures cirées de neuf et de pointu. Attaché-case moelleux de luxe. L’oeil demande ce qu’il fait là.
9
Ébène de la tête aux pieds. Sandales poussière de désert. Fiches de cours hiéroglyphes, sa voisine tente un décryptage par dessus-l’épaule de la pyramide. Impossible de comprendre ses hauteurs. La musique aux oreilles est transfrontière.
10
Ses chaussures et son imperméable ont mauvaise mine. Ceinture d’étrangleur. Sac àmain griffé Plastique. Haleine que l’on souhaiterait souffler du côté de Vladivostok plutôt que du voisin. Sa tête dodeline un message àMorphée.
11
Elle est bien calée dans la banquette chocolat chaud. Crème fraîche du visage. Rondeurs moelleuses des bras biscuits de Savoie. Elle croise les mots fleuret àla main. Solitude heureuse de l’absorbé.
12
Alexandrie Alexandra sans les Claudettes. Les wagons dansent tels des poussins sur un tapis roulant les amenant àla trieuse, mâles d’un côté, femelles de l’autre. Regards broyés d’une promotion de jeunes bouchers-charcutiers devant le salon du végétarisme.

(Illustration : huile sur toile de Bernadette Vercoustre)

Céline Lafon

6 février 2017
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