La Chapelle, ville sauvage ?

Organisation le jeudi 20 février dernier d’une projection-discussion autour du documentaire Detroit ville sauvage de Florent Tillon (2011). Poursuite des réflexions avec les habitant·es du quartier sur la thématique « Â Ville écologique : un pari impossible ?  ».

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Fin du film. Ça cause.

N’importe quel Américain aime le bruit d’un moteur de Detroit. Désolé, mais au fond, c’est un peu comme vous avec le fromage.

Tout le monde se marre. Tarvis, qui habite désormais le quartier, vient de Los Angeles et connaît bien Detroit pour y être passé plus d’une fois.

Mon esprit divague. J’imagine la France dotée d’une grande métropole du fromage, où l’on produirait 50 sortes différentes de pâtes molles et dures, et que cette industrie tout àcoup s’effondre. Quel effet cela ferait-il ?

En tout cas, aux États-Unis, dans un pays où — plus encore que chez nous — la bagnole et le macadam sont les deux pistons du moteur de la puissance, ça a indéniablement fait l’effet d’un cataclysme. General Motors, plus grand fabricant automobile du monde pendant 70 ans (entre 1931 et 2005), s’est écroulé pour surendettement au début des années 2000. Une longue descente àla casse qui amena en 2008 àla renationalisation temporaire de l’entreprise (une hérésie aux States), alors que sa cote en bourse avait perdu près de 95% de sa valeur.

Les conséquences sociales d’un tel bouleversement au sein de la plus grande ville de l’industrie automobile états-unienne auront été d’une rare violence.

C’est dans les ruines de ce capitalisme écroulé que nous plonge le film de Florent Tillon — retraçant les origines de l’essor de la ville depuis Henri Ford et partant àla rencontre d’une série de personnes qui survivent chacune àleur manière. La caméra erre au milieu des bâtiments abandonnés. Centre-ville déserté. Mais flux de voitures toujours incessants sur les autoroutes environnantes — entre les banlieues et les gratte-ciels (la maison et le travail). Et puis l’herbe qui pousse sur les parkings, le retour des faucons, les écureuils qui se retrouvent nez ànez avec les lapins. A quelques kilomètres de la skyline, les herbes hautes et la reprise d’activité des anciennes fermes.

Comme le chantait Gil Scott Heron de sa voix suave àl’automne 77 :
We almost lost Detroit this time
Nous avons failli perdre Detroit cette fois.
(pour un accident nucléaire àl’époque, comme quoi les désastres ne se prévoient pas)

Pour reprendre l’idée d’Anna Tsing dans son très beau Champignon de la fin du monde : « Â résurgence  » est devenue une notion-clé pour comprendre cette nature qui vient reprendre ses droits dans les interstices de nos systèmes économiques décadents.

Detroit est donc une ville plus pauvre et plus écologique qu’avant. Mais, dans les deux cas, elle l’a subi.
Comment dès lors tenter d’imaginer une « Â ville sauvage  » dont la transformation serait prise en main par les habitantes et les habitants ?
Comment imaginer la Chapelle en tant que « Â refuge écologique  » — l’accueil inconditionnel de tous les vivants, humains et non-humains —, sans l’avoir subi ?
Une ville véritablement écologique, est-ce un pari impossible ?

A une dizaine dans la cave de la librairie, une fois le film terminé, nous avons donc essayé de prendre un peu de recul sur la situation.

1. LA CHUTE
A Paris une telle chute soudaine paraît d’emblée impossible. Car Paris est trop « Â multiple  », trop « Â ancienne  », pas aussi « Â artificielle  » et « Â monoculturelle  ». Voilà, tour àtour, les mots qui nous viennent. Des souvenirs de Commune dans la tête, on envisage même les potentiels d’autosubsistance de la région francilienne. Car si les choses s’écroulent (d’une manière ou d’une autre), les problématiques redeviennent très vite alimentaires et énergétiques : un repas, un toit, survivre.

Pour autant, on ne peut jamais prévoir les catastrophes, ni leurs conséquences. Et un choc profond dans une métropole peut vite entraîner des réactions en chaîne et tout déstabiliser. On en a vu d’autres : le nuage toxique de Bophal en Inde en 1984 (juste histoire de ne pas parler du trio nucléaire : Hiroshima-Nagasaki / Tchernobyl / Fukushima), l’ouragan Katrina àLa Nouvelle-Orléans en 2005, ou encore les récents « Â mégafeux  » en Australie.

2. LE TROUBLE
Nous vivons donc des temps troublés ; et la vie dans les grandes villes n’offre aucune assurance àlong terme dans un tel contexte. Car les métropoles sont des vampires qui sucent le sang des territoires et qui s’approvisionnent au quotidien dans l’irrespect le plus total des règles écologiques (on évoque notamment Les Métropoles barbares, Ville affamée ou Les Territoires du vivant). Les grandes villes telles que nous les connaissons aujourd’hui ne sont donc clairement pas écologiques — et de ce fait sont fragiles : des colosses aux pieds d’argile.

3. LA VIE
Enfin, comment l’imaginer cette métropole écologique ? Que pourrait-elle être ? Et surtout, n’est-elle pas une contradiction en soi ?
On en vient donc àparler d’« Â Ã©chelle  », de « Â limites  », de « Â quartiers confédérés  » et d’« Â interdépendances des territoires  ».
Cette ville écologique, comment la construire dans nos têtes ? Et surtout, comment déconstruire la ville actuelle pour en faire advenir une nouvelle — plus respectueuse des vivants et des générations futures ?

Déjà, 22h nous rappelle àl’ordre, nous laissant ànos problèmes.

De nouvelles graines plantées dans la cervelle
On se donne rendez-vous àla session prochaine
Pour encore tenter d’ensauvager la Chapelle.

4 mars 2020
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