Le sacre de la classe de Terminale CAP Hôtellerie/Restauration

Depuis la rentrée scolaire, j’ai animé une série d’ateliers d’écriture dans la classe de Terminale CAP Hôtellerie/Restauration du lycée Louis-Bascan de Rambouillet. Après une séance de présentation en septembre, je suis intervenu 2h par semaine à partir des vacances de la Toussaint dans la classe de Madame Laouar, professeure de Lettres-Histoire.

Le but était d’écrire le scénario d’une BD relatant le parcours d’un danseur étoile. La classe est inscrite dans le dispositif Dix Mois d’École et d’Opéra (DMEO) et, dans ce cadre, l’année dernière, les élèves avaient déjà participé à de nombreuses activités, rencontres et avaient assisté à des opéras et ballets à l’Opéra National de Paris. Cette série d’ateliers d’écriture que j’ai animée s’inscrit dans ce parcours, qu’ils poursuivent cette année.

Parmi les œuvres que les élèves ont vues, Le sacre du printemps d’Igor Stravinsky. Dès la toute première séance et en moins de trois minutes, un élève propose le titre qui est resté celui de la BD : « Le sacre de Makomé ». La trame de départ : Makomé est un jeune garçon dont le père souhaite qu’il devienne footballeur. Lui, rêve de danse depuis qu’il a accompagné par hasard sa sœur à un cours. Il doit faire face à plusieurs obstacles : les préjugés de son père sur la danse classique, les moqueries de ses camarades de classe… Il y a aussi le regard social sur un jeune homme noir qui rêve d’intégrer l’Opéra de Paris et ses propres démons intérieurs qui vont le rattraper quand il va toucher du doigt son objectif.

Les élèves ont rapidement dégagé une trame en plusieurs scènes, il a fallu ensuite développer ces scènes en plusieurs bulles. C’est ce travail qui a été le plus laborieux : faire comprendre que nous ne voulions pas seulement des illustrations mais une vraie BD, avec un séquençage, des rebondissements, des indications sur les lieux où se déroule l’action, ce que les personnages disent et pensent dans des bulles, leurs actions… Il fallait imaginer visuellement une scène, la rendre intéressante, et la retranscrire en mots. Les élèves ont de mieux en mieux compris le format souhaité et ils se sont révélés très brillants dans l’exercice.

Au-delà de la description de situations, ils ont donné un vrai sens à l’histoire. L’arche narrative de Makomé est indissociable de son rapport difficile à son père, qui prétexte toujours quelque chose d’important à faire au moment son fils se produit sur scène. Dans ma méthode, j’ai suivi les grandes lignes des principes du scénariste américain John Truby, où la dramaturgie se double d’un thème principal. L’histoire de Makomé qui veut devenir danseur à l’Opéra est aussi celle d’un garçon qui veut dépasser les stéréotypes de genre et le regard social qu’ils engendrent.

Au début du projet, nous envisagions une dizaine de scènes et notre objectif était de commencer le scénario. À la fin du projet, nous avons 17 scènes et le scénario est totalement fini. L’histoire de dépassement de Makomé est aussi celle des élèves. Pendant cette série d’ateliers, ils sont allés au-delà de ce qu’ils pensaient pouvoir faire. Bravo à Baptiste, Caleb, Divy, Enzo, Enzo, Enzo - non, je ne radote pas, il y a trois Enzo dans la classe - , Fabien, Lenedric, Théo, Thomas, Youssouf. Ces ateliers ont été aussi instructifs pour moi : je rêve d’écrire des scénarios de BD et je pense que grâce à cette résidence, j’ai fait un pas de plus vers cet objectif.

Plutôt qu’un long discours, je présente quelques scènes du scénario écrit par les élèves. J’ai choisi les plus courtes pour que l’on puisse visualiser la forme et la variété des tons.
La scène 2 illustre l’imagination visuelle des élèves.
La scène 7 traite d’un sujet de société, le harcèlement scolaire.
La scène 9 rappelle un événement politique historique.
La scène 10 repose sur un jeu de mots.
La scène 15 dénonce une pratique qui a une résonance historique.

Scène 2 : Chez le gynécologue, la mère passe une échographie tandis qu’elle est enceinte de Makomé
1re case : Dans une salle d’échographie. La mère est allongée, le père est à côté du gynécologue. Le gynécologue fait glisser une sonde sur le ventre arrondi de la mère.
2e case : Dans la salle d’échographie. Le système d’ultra-sons fait « bip bip ». Et le ventre de la mère remue. La mère dit dans une bulle : « On a remarqué qu’il bougeait chaque fois qu’il y avait de la musique ! » Le mari hoche la tête.
3e case : Dans la salle d’échographie. Le médecin répond dans une bulle : « Oh vous savez, un bébé qui bouge, ça arrive souvent ! ».
4e case : Dans la salle d’échographie. Sur l’écran d’ordinateur, on voit les images du bébé. Il danse le moonwalk !
5e case : Dans la salle d’échographie. Le bébé danse toujours le moonwalk et le médecin dit : « Je n’ai jamais vu ça ! »
6e case : Dans la salle d’échographie. Le père, tout excité : « Alors, c’est un garçon ou une fille ? » Le docteur : « C’est un danseur… euh un garçon ! ».
7e case : Dans la salle d’échographie. Le père passe la main sur le ventre de la mère. On voit le bébé donner un coup de pied sur l’écran de l’ordinateur. La mère grimace et dit : « Ouille ! « Le père est tout heureux et dit : « Avec un coup de pied pareil, c’est le futur Zidane ! »

Scène 7 : Makomé a 8 ans. Ses camarades de classe se moquent de lui car il aime la danse.
1re case : Dans une salle de classe. Un professeur demande aux élèves le nom de son modèle dans la vie.
2e classe : Dans une salle de classe. Le professeur est face aux élèves, un élève lève le doigt répond : « Zinédine Zidane ! » Une autre élève lève le doigt et dit « Beyoncé ! » Une autre dit : « Kim Kardashian ! »
3e case : Dans une salle de classe. Le professeur est face aux élèves, Makomé lève le doigt et répond : « Misty Copeland » (Remarque : Misty Copeland est une danseuse étoile noire américaine)
4e case : Dans une salle de classe. Le professeur est face aux élèves. Tous les élèves regardent Makomé avec un point d’interrogation dans leurs yeux.
5e case : Dans une salle de classe. La classe a le regard tourné vers Makomé. Makomé dit : « C’est une grande danseuse classique ! »
6e case : Dans une salle de classe. Tout le monde dans la classe se moque de Makomé, riant et le pointant du doigt. Makomé a un point d’interrogation au-dessus de sa tête.

Scène 9 : Makomé a 8 ans. Ses parents fêtent l’élection de Barack Obama
1re case : Dans la chambre de Makomé. Makomé et sa sœur Fanta font un château de cartes.
2e case : Dans la chambre. Makomé et Fanta sursautent et le château de cartes s’écroule. De la porte, une bulle où il est écrit en gros : » Ouaaaaiiiiiiiiis ! On a gagnéééééé ! »
3e case : Dans la chambre. Makomé et Fanta courent en même temps vers la porte et se cognent.
4e case : Dans le salon. Le père et la mère de Makomé font une danse de joie devant la télé, où l’on voit Obama. Makomé et Fanta les regardent avec un point d’interrogation.
5e case : Dans le salon. Makomé demande : « On a encore gagné la Coupe du Monde de foot ? »
6e case : Dans le salon, les parents disent dans la même bulle : « Mieux que ça ! Barack Obama a gagné l’élection américaine ! »
7e case : Dans le salon, Makomé demande : « C’est qui, Barack Obama ? » Les parents répondent : « Le premier président noir de l’histoire des Etats-Unis ! »
8e : Dans le salon, Makomé et Fanta imitent les parents qui dansent. Au-dessus de la tête de Makomé, une bulle de pensée : « Eh bien moi, je serai danseur à l’Opéra de Paris ! »

Scène 10 : Makomé a 12 ans. Il est de corvée de ménage et il danse avec un balai
1re case : Dans le salon de leur appartement. Le père est avec Makomé. Il lui tend un balai. Il lui dit dans une bulle : « Tu es grand maintenant, tu vas participer aux tâches ménagères. Tu vas commencer par le balai ! »
2e case : Dans le salon. Makomé est seul et regarde le balai avec un point d’interrogation au-dessus de sa tête.
3e case : Dans le salon. Makomé commence à danser avec le balai, dont il se sert comme partenaire.
4e case : Dans le salon. Makomé se déchaîne, des images superposées le montrent en train d’enchaîner les entrechats.
5e case : Dans le salon. Makomé fait un grand écart en l’air. Par la porte, on voit la tête de sa mère et de son père avec un point d’interrogation au-dessus de leur tête.
6e case : Dans le salon. Les parents sont dans le salon, face à Makomé. Makomé s’arrête, l’air embêté, cache le balai derrière son dos. Les parents lui disent en chœur dans une bulle : « Qu’est-ce que tu fais ? »
7e case : Gros plan sur Makomé, l’air satisfait, qui dit : « Papa m’a dit de commencer par le balai… »
8e case : Dans le salon - Makomé poursuit dans une bulle : « …eh bien je commence par le ballet ! ». La mère sourit, la père se tape la main sur le front et tombe à la renverse.

Scène 15 : Makomé a 20 ans. Il s’offusque des blackfaces à l’Opéra.
1re case : Dans la loge des danseurs de l’Opéra. Makomé voit une danseuse noire qui passe de la teinture à son collant blanc. Makomé lui demande : « Qu’est-ce que tu fais ? » La danseuse : « Je passe de la teinture noire à mon collant pour qu’il aille avec la couleur de ma peau ».
2e case : Dans la loge des danseurs de l’Opéra. Makomé est avec la danseuse. Makomé et lui demande : « Mais pourquoi il n’y a pas de collants noirs ? » La danseuse hausse les épaules.
3e case : 6 mois plus tard. Dans la loge des danseurs de l’Opéra. Makomé voit un danseur blanc mettre un maquillage noir sur son visage. Makomé lui demande dans une bulle : « Qu’est-ce que tu fais ? » Le danseur répond : « Tu vois bien que je mets du maquillage noir sur mon visage. »
4e case : Dans la loge des danseurs de l’Opéra. Makomé : « Mais pourquoi on ne fait pas directement appel à un danseur noir ? » Le danseur hausse les épaules.
5e case. Dans une chambre d’internat à l’Opéra de Paris. En arrière-plan, on voit des posters d’Obama et de Misty Copeland. Sur son lit, Makomé lit un livre dont la couverture est : « L’histoire du blackface ».
6e case : Dans un café à Paris. Makomé est avec 5 personnes. Makomé leur dit : « Nous devons avoir des collants adaptés à la couleur de notre peau ! Et nous ne devons plus laisser passer les blackfaces, c’est raciste ! »

22 décembre 2023
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