Dominique Quélen | Cellules

Cellules : c’était le titre de mon projet d’écriture. Ça tombe bien, en ces temps de confinement et de distanciation sociale. Je pourrais vivre dans une cellule : cet aspect-là du confinement, ça va. C’est tout le reste qui ne va pas. Le désagrégement. Il se trouve que depuis quelque temps je n’arrivais plus à écrire. Le 17 mars, le resserrement autour du vide a opéré un effet d’aspiration par où l’écriture, au bout d’une paire de semaines, a fini par revenir. Le manque d’air et d’espace a dû créer, comme dans un conditionnement sous vide, l’équivalent de contraintes formelles. L’autorisation de ne sortir que dans la limite d’une heure et un rayon maximal d’un kilomètre en est une autre. Bref, je m’y suis remis. Le poème quotidien. Écrire malgré l’impossibilité de rien faire advenir : exercice des jours qui se suivent et se ressemblent. Ces petits poèmes non sur mais dans le confinement sont des cellules exiguës où je tourne : j’en écris la matière, réunis les éléments puis les agence comme au jeu de pousse-pousse, façon puzzle, dans un cadre plus ou moins rectangulaire ou carré, façon fenêtre.










l’espace est fait d’une ligne
ou de deux traits à l’intérieur
où rien n’est séparé et sépare
en deux ce rien qui n’est pas
séparé en séparant de ce qui
arrive un vide où la vie où rien
n’arrive est ce qui est ou non
fait d’une infinité de traits










angle formant ligne ou coude
courbure angle parfois coupé
de corde en deux ou trois où
on est à mur opposé d’ombre
à dormir occupant du terrain
puis le mur est dans la partie
où tu es en position de nager
sur place et sommeil collectif
une ligne continue va dedans










d’abord tu regardes et j’arrête
un corps accroupi sans souffle
caché dans l’herbe toujours je
m’adresse à toi un corps troué
j’arrête et m’adresse accroupi
caché tout sec un poème à toi
sur ces allumettes impossibles










syllabe à prononciation
que tu as lancée muette
et formant le nom placé
dehors que d’un placard
vers la rue tu as dehors
muette ici formé disant
d’une seule syllabe juste
ceci qu’on n’entend pas










ce lieu inverse chaque jour le plan
dans l’épaisseur à la fin tu calcules
où sont des livres dans des cartons
je reste complet à écrire à être toi
toujours à suivre incomplètement
dehors ou comme cartons et livres
où vivre comme on a pu être vécu










poissons par ma fenêtre parmi
cent ou cent cinquante rentrés
je les écaille les mains poissent
c’est aussi la tienne dedans qui
soit main gauche ou droite irait
communément les entrailles le
frai s’il y en a les yeux sous nos
mains disparaissant j’enlève ça










un énoncé ou film ou œil
simple un dé transparent
des énoncés très simples
ailleurs ici où nulle chose
qui partira ici ne pourrait
ni être ni paraître ailleurs
autre ou autrement faite










un sentiment de nullité du socle
à la lumière appuie contre quoi
passe et fluide un visage existant
non fragment mais simple appui
où manque passe en contrebande
imitant bas-relief un vers ou quoi
dont relève une ligne à la lumière










poème loin on ne voit pas où
des fauves sont petits calmes
pour enfants le verbe ondoie
dans ton poème sans un mot
autre chose boiteuse comme
si on allait étendre ça dehors
au fond de la rivière et parmi
de l’herbe des os des cailloux










torchons en tas au sol s’écrit
on est à écrire cheval tombé
de table petitement à plomb
plastique y revoir impossible
à y vouloir en arrêtant d’être
à cheval plastique tient raide
torche dans le noir de plomb
cesser de tomber impossible










la grande fraîcheur intacte
des mouvements le mur la
façade sa fenêtre en ogive
son histoire un ourlet haut
qui se défait mal reproduit
un œil cousu carré comme
un dé un vêtement dans le
chéneau un tableau effacé
un mur l’obscurité les yeux










le cadre imitation
bois les fruits faux
ou vrais ta phrase
écrite tout entière
façon métaphore
la fraîcheur du sol
carrelé le choc du
crâne le brancard









5 mai 2020
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