Dominique et l’art de vivre au présent.

Dominique a trois heures de transport par jour, aller-retour, pour venir travailler àla médiathèque de Gentilly. Le matin, parfois, il choisit volontairement d’aller àpied àla gare de ReR, « vingt minutes », dit-il, pendant lesquelles il essaie de ne penser qu’àmarcher, qu’àrespirer. Il donne des noms aux rues qu’il emprunte et essaie de ne jamais prendre les mêmes.
Il me cite (de mémoire) une phrase du philosophe Héraclite qu’il affectionne : « le soleil se lève chaque matin différemment ». Il croit que le passé est révolu, et que le futur n’existe pas, que nous sommes seulement au présent. C’est la raison pour laquelle il admire les artistes : ils ont cette faculté de vivre sans arrière-pensées, ici et maintenant.
Il essaie de profiter de chaque instant, le mot « essayer » revient souvent dans sa conversation, il essaie de rester disponible pendant ses trajets, de ne pas se laisser envahir par les mauvais souvenirs, les problèmes de boulot, les soucis familiaux. Il essaie àla médiathèque de rester souriant, accueillant, pour les lecteurs, c’est le plus important pour lui, de rester reposant pour autrui.
Il me raconte un souvenir de transport :
« J’avais dix neuf ans. Je suivais une formation, je prenais mon ReR quotidien. Je me suis assis près de la fenêtre. Une femme, plus âgée que moi, s’est assise en face côté couloir. Nous avions chacun quelqu’un àcôté de nous. Pendant tout le temps du trajet, Joinville-le-Pont—Nation, il y a eu des échanges de regards entre nous, une sorte de grand silence, de grand calme, de respiration. Elle est descendue àVincennes. En se levant, elle m’a dit :
“Je vous remercie†.
C’était une parole qui venait du fond du cÅ“ur et que je n’ai jamais oubliée. »
Et puis il ajoute : « Si j’ai un moyen de transport en commun avec mes semblables, c’est bien la planète Terre. Et il faudra qu’on en prenne soin ».
Dominique a beaucoup d’idées sur la nécessaire évolution des transports en commun en ÃŽle-de-France : plus fréquents, plus confortables, plus humains, et proposant aux usagers des services par le biais d’Internet. « Ce serait aussi très judicieux d’un point de vue économique, ajoute-t-il. On devrait pouvoir faire ses courses sur Internet, ou s’abonner àdes journaux, des musiques, télécharger des livres... »

4 mars 2011
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