Les étangs de Commelles

Le nom de notre famille Commelles, aussi orthographié Comelle se maintient – depuis plus d’un siècle.
Profondément unis, mes frères et moi, nous ne nous quittons jamais et partageons sans arrêt le lait donné par Mère. Il coule en nous comme la sève d’un arbre et déborde lors de tempêtes violentes et brutales. Il est notre flux sanguin.

Mère est née – il y a bien longtemps – àOthis dans le nord-ouest de la Seine et Marne. C’est jusqu’au nord de la France qu’elle passe son enfance et se développe. Elle rencontre Père une matinée de pluie. Il persistait às’abattre sur elle. C’est durant plusieurs jours qu’ils nous mettent au monde, dans un bruit assourdissant de combats et d’éclaboussures.
Père, lui, s’est éveillé près des nuages gris mais loin du soleil rouge. Il ne nous réchauffe pas. Il est bienveillant et abrupt. Il n’est pas vraiment présent car trop morcelé. Il disparaît toujours dans une brume – créée par lui. Mère, dont le fluide se disperse incessamment en nous, dit qu’il traverse les océans et les mers, pour sauver les terres sèches.

Mère déplace ces propres organes, vers nous – pour que nous puissions vivre. Chacun d’entre eux bruissent en nous de mouvements et s’écaillent de fatigue. C’est dans un courant alternatif, où les bulles grouillent, qu’ils passent d’un frère àl’autre. Seules les veines – plus tenaces – s’accrochent ànous telles des algues-émeraudes.

Moi et mes frères vivons l’un àcôté de l’autre, suivant la hiérarchie familiale de Mère, du plus grand au plus petit.

Moi, La Loge suit né le premier. Plus épais que mon cadet, c’est moi que les passants admirent en premier. De mon côté, proche de la terre ferme, trône le château de la Reine Blanche. Il fà»t un temps où je vivais pour l’attendre. Bâtisse édifiée àson honneur, elle n’y résida aucune fois, de son vivant.

Mon frère, le plus proche, se prénomme Neuf. C’est en suivant la route forestière des Tombes qu’il s’est construit. Près de lui s’effondrent les arbres, déracinés, causant d’innombrables cicatrices élégantes sur ces bords. Coincé entre moi et mon dernier frère, circule en lui, l’information.

Le dernier de mes frères, porte le nom de Chaperon. Indécis, le regard porté vers l’arrière, il s’étend vers le fond de manière disparate, usant de boue sanguine pour survivre. C’est avec lui que les plus grands oiseaux s’animent et flânent – heureux d’une eau marécageuse, que Chaperon cultive aux passages de Père.

Eva Lassalle.

5 février 2017
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