Rencontre 3
Vendredi 11 mars
C’est une journée d’avant-printemps, et sur le chemin de l’école, rue de la Roquette, il y a de nombreux vendeurs de jonquilles. J’en achète un bouquet pour la classe.
Cinq mères d’élèves sont présentes, et avec les enfants nous commençons par parler des fleurs, de leurs noms, leurs couleurs. L’un d’eux évoque le pissenlit et l’aigrette du pissenlit sur laquelle on souffle pour faire un vœu. Je leur demande de me citer leurs vœux non secrets (les vœux secrets étant à garder).
Doréna : Je rêve d’avoir une voiture de course rouge pour pouvoir conduire.
Lucas : Moi, un tyrannosaure énorme dans ma chambre.
Pauline : Un dragon qui vivrait dans la liberté.
Jim : Je rêve d’avoir une Ferrari jaune.
Alba : Moi, un petit chat.
Zoé : ou un chihuahua
Nathan : Un tyrex crachant du feu.
Nell : Je rêve d’un château, d’une licorne, et de commander tout le monde.
Jules : De faire du ski nautique.
Taky : Je rêve d’avoir beaucoup de travail.
Je leur propose le début d’une histoire à poursuivre :
« Hier, j’étais dans mon appartement, l’après-midi, en train de travailler, et on a frappé à ma porte. Je n’attendais personne, j’ai été surprise, qui était-ce ? »
(titre proposé par Jim)
Toc, Toc, toc (Jules). Il y avait deux personnes, le facteur et le livreur de fleurs (Nathan). Ils se bagarraient (Jim) parce qu’ils voulaient chacun être le premier à frapper (Lindsay). Mais ensuite ils se sont excusés (Nell). A ce moment-là, la dame de l’appartement qui était Anne Serre est venue ouvrir (Zoé), et elle les a invités à prendre le goûter (Lucas). Mais le fleuriste renversa son verre (Laura), il ramassa les morceaux pour aller les mettre dans la poubelle de recyclage (Pauline). Ensuite ils descendirent l’escalier et le fleuriste poussa le facteur sur les marches, mais c’était sans le faire exprès (Doréna).
Le facteur avait apporté une lettre pour Anne Serre (maman d’Alba), et c’était forcément une lettre importante pour qu’il soit monté jusque chez elle (maman d’Antonin). Dans cette lettre, il y avait des informations importantes (Gabriel). Mais il y avait une deuxième lettre, et c’était une lettre d’amour (Zoé). Il y avait écrit : « Je t’aime, Anne Serre », et Anne Serre, ça l’a fait pleurer (Doréna). Une troisième lettre était une carte postale (Exupérance). Dans l’enveloppe, il y avait aussi du sable blanc (maman de Pauline). En fait, c’était de la neige qui venait des montagnes (Jim). Ensuite, elle ouvrit une quatrième lettre (Louis). C’était la journée des lettres ! (Jim) Le fleuriste avait donné une fleur à Anne Serre, et ensuite tout un bouquet (Lucas). C’était des roses (Pauline).
Après leur avoir relu leur histoire, je leur demande de me proposer un titre. Les idées fusent…
Anne Serre et la fête des lettres (Fatoumata)
La journée des lettres (Jim)
Le facteur chez Anne Serre (Gabriel)
Anne Serre, le facteur et le fleuriste (Zoé)
Anne Serre invite deux personnes (Lindsay)
Un amoureux secret ? (maman de Lucas)
Lettres et fleurs d’amour au goûter (maman d’Antonin).
Pendant cette séance nous sommes filmés et enregistrés par l’enseignante. Comme il nous reste dix minutes, je leur demande s’ils préfèrent dessiner ou danser. La majorité d’entre eux veut danser sur notre air « bla-bla-bla » (la chanson de Philippe Katrine), ce que nous faisons en compagnie des mères d’élèves.
Vendredi 18 mars
10h : Pendant que les autres élèves sont en récréation, conversation filmée dans la salle de classe avec trois enfants. Aujourd’hui : Zoé, Gabriel et Doréna.
(conversation avec trois enfants)
A quoi s’amuse-t-on, aujourd’hui, dans une cour de récréation ? (Anne Serre)
Je fais du toboggan, je cours, je regarde au télescope (Doréna). Moi, je fais des acrobaties (Zoé). Moi aussi, et j’adore faire le cochon pendu (Gabriel). J’aime bien me balancer (Zoé). Il y a des jeux intéressants, des jeux de garçon qui sont un peu mortels. Te les expliquer ? Ça ne s’explique pas ; ça se fait (Gabriel). Pourquoi on dit que c’est mortel ? Parce qu’il y a de la bagarre (Doréna). Tu changes d’armure tout le temps (Gabriel). Sinon, on joue à chat, à chat-poubelle, à chat-caca, et à chat-feu. Chat tout seul, c’est le chat normal. Chat-poubelle : quand tu es touché tu dois aller dans une poubelle. Chat-caca, quand tu es touché tu dois aller faire caca ou pipi (Zoé). Comment sait-on que l’autre a fait caca ou pipi ? (Anne Serre) On le suit dans les toilettes ! (Zoé) Et chat-feu, quand tu es touché, tu deviens un charbon (Doréna). On joue aussi au « monde des bonbons » : tout est bonbon, la classe, les chaises, les tables, et tout le monde. Ta tête est le bout d’une sucette, par exemple (Zoé). C’est comme dans Hansel et Gretel (Doréna). Moi j’ai lu cette histoire dans le livre de ma grand-mère qui fait au moins mille pages. Dans ce livre, il y a des histoires très vieilles mais aussi des histoires très jeunes. Toutes les histoires du monde (Gabriel). Quand j’étais bébé, je me rappelle qu’on me racontait l’histoire des « lunettes de grand papy » : j’étais mort de rire ! (Doréna).
Avec la classe entière (et cinq parents aujourd’hui), nous décidons de parler de l’âge.
Les enfants sont plus petits que les parents (Lucas). A partir de dix-huit ans, on peut vivre tout seul et partir où on veut (Lindsay). Mais déjà au collège, si on veut, on peut partir tout seul (Doréna). Quand on est grand, on sait manipuler un petit canif (Paul). Les adultes savent plus de choses que les enfants (Zoé). En fait, on ne sait pas tous les mêmes choses. On sait des choses différentes. Mais il y a aussi des choses qu’on apprend seulement pour être poli, et tout le monde doit les savoir (Gabriel). Parfois, les parents ne savent pas certaines choses. Qu’on a un nouveau copain, par exemple. Parce qu’on ne leur dit pas (Lucas).
Nous imaginons la vie d’un homme qui aurait cent ans.
Il s’appelle Jean-Baptiste (Doréna). C’est un peintre (Antonin). Il habite la campagne (Zoé) et il s’habille toujours comme le père Noël (Doréna). Il a un copain qui s’apelle Papy- Piii (Gabriel). De temps en temps Jean-Baptiste va faire ses courses à cheval (Paul). Papy-Piii, lui, il a une voiture (Adam). Ils ont un autre copain qui s’appelle Jean-Maurice et qui a seize ans (Zoé). Papy-Piii a un petit fils qui s’appelle Paulo-Paulo (Doréna). Le père de Paulo-Paulo faisait tout le temps wouaf, wouaf, comme un chien (Pauline). Ils vivaient tous dans une maison où il y avait plusieurs salons et plusieurs chambres. Paulo-Paulo travaillait, mais quelqu’un venait tout le temps le déranger (Lindsay). C’était quelqu’un que Paulo-Paulo ne connaissait pas (Nell). En fait, c’était quelqu’un qui était déguisé en loup (Adam).
Vendredi 25 mars
ET DE L’AUTRE, TOUT CE QUI NE FLOTTE PAS
Aujourd’hui, en présence d’un membre de la Région Ile-de-France, Isabelle Reverdy, nous inaugurons avec la classe notre projet de « Dictionnaire des enfants ».
Je leur ai apporté mon dictionnaire (Le Petit Robert) pour leur montrer quelle allure a cet ouvrage. Les enfants se montrent très intéressés par son épaisseur et par ce qu’il contient. « Toutes les histoires du monde ? »
Je leur fais définir ce qu’est un dictionnaire, et certains savent que c’est « un livre où il y a tous les mots qui sont expliqués » (Lindsay). Comment sont classés ces mots ? « Par ordre de grandeur ? Du plus petit au plus grand ? » (Gabriel), « Par genres de mots ? Tout ce qui se ressemble, ensemble ? » (Lucas), « Par exemple tout ce qui flotte, comme le mot « bateau », d’un côté, et tout ce qui ne flotte pas, comme le mot « maison », d’un autre côté ? » (Izyah). Certains enfants parlent de l’ordre alphabétique. Qu’est-ce que l’ordre alphabétique ? Ils me récitent alors l’alphabet à pleine voix.
Je leur explique que nous allons constituer un dictionnaire réalisé par eux et leurs propres définitions de certains mots (« Mais il va falloir cinq cents heures pour faire un aussi gros livre ! » (Gabriel). Je leur précise que nous ferons le choix de certains mots seulement. Nous commençons avec un mot en A : artiste.
Entrée : ARTISTE
Harry Potter est un artiste (Jules).
Mais non ! Tu dis n’importe quoi ! Harry Potter trace des signes dans l’air avec sa baguette. Les artistes, ça trace des signes sur les papiers, pas dans les airs ! (Gabriel)
Un artiste, ça peut être quelque chose qu’on ne comprend pas (Axel).
C’est quelqu’un qui dessine (Doréna).
Ça peut être un peintre (Laura).
Ça peut être quelqu’un qui écrit un livre, et un autre dessine (Zoé).
Il peut être dans le spectacle, et par exemple faire des acrobaties (Izyah).
Ou il fait du théâtre (Zoé).
Il y a des artistes de cirque qui font du trampoline, du toboggan (Adam). Ou du jonglage (Jim).
Le dompteur aussi est un artiste (Izyah). Comme les dresseurs de tigres (Doréna).
Ça peut être aussi quelqu’un qui chante (Lucas).
Un artiste peut faire pousser des herbes (Doua). Car un jardinier peut être un artiste. En fait, un artiste peut faire toutes sortes de travaux. Il peut être bijoutier, aussi (Gabriel).
Un écrivain est un artiste. Comme toi (Doréna).
Et comme les écrivains écrivent les dictionnaires, dans les dictionnaires ils peuvent écrire que les écrivains sont des artistes ! (Gabriel).
Vendredi 1er avril
Aujourd’hui, deux pères et une mère d’élèves assistent à la séance. Je commence en racontant aux enfants la chose suivante : « Ce matin, en venant à l’école, j’ai été très surprise parce qu’il y avait dans la rue un troupeau d’éléphants. Je les ai vus de loin, de dos, j’ai cru d’abord que c’étaient des camions, mais non, c’était bien des éléphants, une bonne dizaine, sur le boulevard ».
Puis je leur dis : « Poisson d’avril ! » et leur explique en quoi consiste ce « poisson d’avril » du 1er avril : c’est le jour où on a le droit de raconter des blagues et tout ce qu’on veut, en faisant croire à l’autre qu’il s’agit de choses véritables. Autrement dit : le jour autorisé pour le mensonge. Mais au moment où l’on voit que l’autre vous croit, on s’exclame : « Poisson d’avril ! » pour lui faire comprendre que c’était une blague.
Je les invite à me faire des « poissons d’avril ».
Il y a quelque chose derrière ton dos ! (Doréna) Je me retourne. Poisson d’avril ! (Doréna)
Il y a un immense dragon par-dessus la ville (Gabriel).
Mais non Gabriel, ça c’est un rêve ! Ce n’est pas un poisson d’avril ! (Adam)
Tu n’en sais rien. Personne ne sait lire dans les pensées des autres (Gabriel).
Il y a un magicien derrière toi (Jim).
Ce matin, j’ai vu un bateau dans ma rue qui avançait tout seul (Pauline).
A côté de chez moi, il y a une énorme inondation (Izyah).
Dans la rue, j’ai rencontré un monsieur qui n’avait pas d’yeux (Lindsay).
Et moi, un monsieur qui n’avait pas de bras (Antonin).
Ce matin, j’ai pris un métro-électricité qui n’avait pas de roues et marchait sans chauffeur (Adam). Mais ça, ça existe en vrai ! (Lucas)
J’ai vu un monsieur qui avait quatre bras (Angel).
Et moi, une pieuvre dans ma rue (Exupérance).
Dans la mienne, il y avait une montre géante qui marquait huit heures moins six et qui allait écraser ma maison (Paul).
Moi aussi je l’ai vue, parce que justement je passais dans la rue de Paul ! (Doréna).
Derrière toi il y a une affiche où nous avons écrit BLA-BLA-BLA… mais ce n’est pas un poisson d’avril. C’est vrai. (Taky)
Cette nuit, un avion est tombé sur ma maison (Mélissa).
Et moi, cette nuit, j’ai dormi dans un volcan (Jim).
Attention ! Derrière toi il y a un dinosaure ! (Louis)
Hier, j’ai vu un dinosaure qui jouait au ping-pong dans le parc derrière l’école (Izyah)
Moi aussi je l’ai vu, mais je ne suis pas le seul. Tout le monde l’a vu. Pas toi, Anne Serre ? (Gabriel).
Ensuite, nous tentons de poursuivre notre dictionnaire et de définir des mots commençant par B, mais les enfants sont passionnés par le poisson d’avril et réclament de le dessiner. Les uns dessineront des poissons, d’autres dessineront les blagues racontées (l’avion qui tombe sur la maison, le bateau dans la rue, le dinosaure jouant au ping-pong, le monsieur qui avait quatre bras, etc.)
Vendredi 8 avril
Nous allons reprendre notre Dictionnaire à la lettre C, mais les enfants sont très intéressés par un pendentif que je porte au cou (une petite montre de gousset ancienne).
On va faire le dictionnaire, mais je voudrais te dire que tu portes un très beau bijou ! (Axel)
C’est une amulette ? (Zoé)
Une amulette, c’est pour empêcher le mauvais sort. Tu dois la garder tout le temps. (Doréna)
Mais non, ça c’est dans un conte, ce n’est pas en vrai ! (Jules)
C’est dans un conte ET c’est en vrai ! C’est les deux. (Izhya)
Tu dois même dormir avec (Pauline).
Et quand tu prends ta douche, tu peux l’enlever et tu la poses sur le radiateur, mais ensuite il faut la remettre (Lindsay).
A la lettre C, nous allons définir le mot Campagne :
(Entrée : CAMPAGNE)
Il y a des champs (Izyah), plein de champs (Gabriel), des forêts (Louis), des maisons de campagne (Nell), des chalets ? (Lindsay) Mais non, les chalets sont à la montagne ! (Antonin). Des champs de blé (Pauline). Mais on l’avait déjà dit ! (tous) Non, on n’avait pas dit blé ! (Pauline). Et des vaches, des moutons, des chevaux, des lapins, des chiens (Adam). Mais il y a aussi des rivières (Exupérance), et les campagnes ont des noms, elles s’appellent avec des noms (Gabriel). Je crois qu’il y a aussi des écureuils (Nathan), et des cailloux dans la rivière (Zoé), et des grenouilles, des arbres, des poissons et des ponts (Jim). Il y a des œufs de poule (Zoé), des canards (Axel), des fleurs (Louis), des cygnes (Mélissa), et des nuages (Nell). Des oiseaux (Zoé), par exemple des rouges-gorges (Laura), des crapauds (Nathan), des roseaux au bord de la rivière (Zoé), des nénuphars dans un lac (Izyah). Dans les champs, il y a des moissonneuses-batteuses (Paul) et un tracteur (Pauline). Il y a du soleil (Jim), et quand il pleut, des escargots (Alba). Du maïs (Jim), des buissons et des ruisseaux (Jules). Un fermier (Taky), une fermière (Laura), des hiboux (Zoé), des renards (Lucas), des serpents (Jim).
Suite à cette énumération, les enfants iront dessiner leur campagne, avec une préférence très nette pour représenter… les serpents, les ruisseaux et les arbres.