Au poirier, mon voisin

A l’orée du jardin le poirier craquelle,

il halète, il hèle, interpelle,

il clame en entailles son vulnérable émoi.

Dans le gris du jour habillé d’ardoise,

sur ses échancrures je pose les doigts.

Les renflements dressés de ses branches,

failles offertes au ciel et aux insectes,

rougeoient en astre sombre d’enchantement.

La douceur de ses mues éparpille mes sens.

D’un fil brillant de salive je flatte son endroit.

J’habite en face du jardin. Le poirier est mon voisin.

Il me côtoie, je le frôle, il m’égratigne, je l’effleure.

Nous prenons langue, il me tutoie, je l’entretiens.

Sa grammaire d’arbre restaure l’usure de ma langue.

Ce mien ami gomme mes déconvenues, ressource ma verve.

Ses échappées d’écorce conjuguent mon désir

qu’il emporte vers l’éclosion d’un élan de ses tiges.

Il s’étire vers le printemps, m’arrime à son essor.

Poirier prolixe, il m’invite à la pousse, m’aiguillonne à dire,

s’ingénie à élucider les écorchures de mes secrets tourments.

Je m’enroule dans ses pelures lisses et je pépie des gammes aux cieux.

6 avril 2020
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