chronique n°2

petit rappel historique
L’origine de l’École remonte à1741, date àlaquelle Henry-Louis Duhamel du Monceau, inspecteur général de la Marine, créa une école àParis destinée aux maîtres charpentiers de marine. Cette école devint, après des changements de noms successifs (École des ingénieurs-constructeurs de Vaisseaux royaux, École d’application du Génie Maritime...), l’École du Génie Maritime. Elle fusionna en 1940 avec l’École d’Application de l’Artillerie Navale.
C’est en 1970 qu’elle prend le nom d’ENSTA (École Nationale Supérieure de Techniques Avancées), en fusionnant avec l’École Nationale Supérieure des Poudres, l’École Nationale Supérieure de l’Armement et l’École des Ingénieurs Hydrographes de la Marine.
Depuis juillet 2012, l’école est installée àPalaiseau, sur le campus de l’École polytechnique, dans des bâtiments construits pour l’occasion. Elle était précédemment située boulevard Victor dans le 15e arrondissement de Paris. Certains laboratoires étaient néanmoins implantés àPalaiseau, dans le pôle technologique de Paris-Saclay.

venir àl’ENSTA
Le chemin qu’indique le site Vianavigo envoie le voyageur par le RER B jusqu’àla gare de Massy-Palaiseau ; là, il emprunte le bus 91-06 qui circule en site propre (une voie lui est réservée) àtravers Palaiseau et le campus de Polytechnique, pour rejoindre ensuite le Christ de Saclay àtravers les différents sites du Plateau. Le bus s’arrête juste devant l’ENSTA àl’arrêt Joncherettes. Un autre itinéraire est proposé àceux que la marche ne rebute pas, en s’arrêtant àla station de RER Lozère, puis en montant àpied jusqu’au plateau. C’est celui que j’avais choisi, en cette belle journée d’automne du jeudi 15 octobre. À la sortie de la gare Lozère, qui ressemble àune petite station de campagne, on attaque une côte bien sentie qui chemine àtravers bois. Le sentier, qui porte le nom d’Edme François Jomard, monte en pente raide sur environ 400 mètres, avant de rejoindre la bordure du Plateau et de sillonner le long du campus de Polytechnique, jusqu’au chemin de la Hunière qui permet de rattraper le boulevard des Maréchaux. Tout en grimpant la côte, je m’amusais de retrouver de manière inattendue la figure de François Jomard, que peu de gens connaissent mais qui m’est familier car c’est lui qui a permis àRené Caillié, en 1830, de se faire attribuer la paternité de la découverte de Tombouctou, quand personne ne voulait entendre ni croire le petit cordonnier de Saintonge au retour de son expédition vers la ville mythique, alors inexplorée. J’ai écrit en 1991 une petite biographie de René Caillié, pour qui Jomard a été un soutien sans faille, presque un père. C’est la raison pour laquelle je connais non seulement son existence, mais aussi quelques points de sa biographie. Polytechnicien, membre en 1798 de l’expédition en Égypte avec Champollion, M. Jomard venait de créer, au moment de la découverte en 1828 de Tombouctou par Caillié, le département des cartes et plans àla bibliothèque royale (notre future BNF). Il avait aussi fondé en 1821 la Société de Géographie dont il deviendra plus tard le président. J’ai reçu en 1995 le Prix Amerigo Vespucci de cette même Société de Géographie, pour mon livre Vingt-trois lettres d’Amérique. Ceux qui montent le sentier qui mène àPolytechnique et àl’ENSTA auront désormais une pensée pour cet homme curieux de tout, ethnographe avant l’heure, et dont la tombe au Père-Lachaise en forme d’obélisque rappelle sa fascination pour l’Égypte ancienne.
Après avoir loupé le raccourci et profité un peu plus longtemps que prévu des feuillages déjàdorés des noisetiers, robiniers, hêtres et autres beaux arbres qui peuplent les pentes du sous-bois, je suis arrivée àl’ENSTA.

séance inaugurale
Cette première séance de mon « atelier d’écriture  » réunissait deux étudiants de première année, Caroline et Eliott, deux membres du personnel de l’École, Joë lle qui travaille àla comptabilité et Arnaud au service informatique, sous l’œil bienveillant de la directrice de la communication, Florence Tardivel, qui nous avait réservé un petit salon ouvert sur le hall, meublé de confortables fauteuils rouges et de tables basses. J’ai expliqué mon projet et lu un extrait du roman, déjàcommencé, que je compte écrire durant cette résidence, avec la complicité de ceux qui participeront àl’atelier.
Il y est question d’habitat évolutif, destiné àrésister àdiverses catastrophes naturelles, voire désastres écologiques. La maison que construisent mes personnages est censée résister aux inondations, aux coupures d’électricité, elle peut en cas d’urgence se déplacer. On peut y survivre quelques jours, avec une autonomie relative. Voici le défi lancé aux étudiants de l’ancienne école du Génie Maritime ! Un habitat flottant en partie autonome... « Une arche de Noé  », ont-ils immédiatement commenté. Mais une maison n’est pas un bateau, elle est justement le symbole de l’immobilité (ne parle-t-on pas d’immobilier ?), de la permanence, d’une certaine solidité, d’un ancrage en un territoire précis... Et c’est tout sauf un moyen de transport.

Dans l’extrait que j’ai présenté, on découvre la première étape de la construction de la maison, sous la forme d’une structure tubulaire (des tubes en acier sont assemblés, formant une armature) recouverte de plaques translucides thermoformées. La forme est celle d’une coquille d’oursin. La maison est fixée au sol par une fondation en pivot, qui s’enfonce profondément dans le sol.

Nous avons tout d’abord évoqué la question de l’énergie : comment permettre àcette maison d’être autonome énergétiquement, en cas de défaut d’approvisionnement ou si elle vient àêtre détachée de son socle, ce qui est prévu initialement dans la construction. Caroline a proposé des solutions solaires, mais celles qui existent actuellement ne sont pas satisfaisantes, elles prennent trop de place (trop volumineux, trop lourd). Caroline a proposé de faire une recherche sur les micro-capteurs solaires, et de voir si l’on ne pourrait pas imaginer un film solaire, sorte de pellicule truffée de mini-capteurs, permettant de récupérer la lumière du soleil et de la transformer en énergie.
Eliott a évoqué la possibilité d’utiliser l’eau. La maison est initialement construite au bord d’une rivière et elle sera amenée àflotter, si une inondation survient. Pourquoi ne pas profiter de ça ? Une turbine hydro-électrique, oui, c’est une bonne idée. Du moins àcreuser. Il a également fait remarquer qu’on pouvait avoir deux systèmes : l’un plus lourd lorsque la maison est immobile, bien arrimée dans son environnement, l’autre plus léger, en cas de catastrophe, qui assurerait une autonomie de quelques jours seulement, mais qui pourrait se transporter. Nous allons réfléchir àces options.
Caroline a proposé, en marge de notre roman, d’écrire des fiches techniques des appareils ou procédés utilisés. Inventer une machine ou un procédé nouveau est une chose, en donner sa notice technique en est une autre. La proposition est très intéressante, d’une part parce qu’elle permet de se pencher sur la rédaction des notices et sa sémantique particulière, d’autre part parce qu’elle va nous montrer comment la littérature précise les choses, les décrit et les détaille, et comment par ce biais elle les fait exister.
Florence Tardivel, directrice de la communication, nous propose alors d’associer un jeune apprenti graphiste, en apprentissage àl’École, dont elle nous montre les planches et les collages, réunis dans de grands albums A3, àl’italienne. C’est lui qui a réalisé l’affiche de la résidence.

Les notices techniques et notre maison pourraient être accompagnées de croquis, de dessins d’architecture. Voilàqui ouvre des perspectives.
Je dessine la maison telle qu’elle est actuellement décrite dans le début du livre. Caroline dessine àson tour un projet de maison qu’elle avait imaginé au collège, en classe de 4e, et qui reprend àpeu près la structure de ma maison imaginaire, mais sur trois pieds au lieu d’un. La sienne est sphérique, la mienne a une forme de coquille d’oursin (sans les piquants).
Eliott s’interroge sur cette forme, est-ce la plus pertinente ? Je lui propose de faire une recherche sur les formes potentielles permettant àla fois ergonomie, espace et qualités de résistance (au vent, àl’eau, au « déplacement  », etc.).
La forme œuf me paraît trop oblongue, bien qu’elle plaise symboliquement àmes ingénieurs en herbe. La forme oursin a ma préférence car elle est plus étalée sur le sol, sur une base presque plate, et permet des aménagements intérieurs plus vastes, de types cellules (un peu comme les cloisonnements de l’oursin, justement) dans sa partie inférieure, avant que les murs ne s’élèvent en se rétrécissant, formant le plafond.
Eliott, apparemment intéressé par la composante « habitat de survie  » demande si une autonomie alimentaire est prévue. À part des provisions, je n’ai pas pensé àça. Il propose un potager intérieur, qui pourrait éventuellement servir de filtre d’eau. C’est extrêmement ingénieux. Nous pourrions aussi envisager une toiture circulaire végétalisée (la partie la plus élevée, qui pourrait se concevoir comme une ouverture, un sas en hauteur). Caroline propose que cette surface ronde puisse monter (pour ouvrir la maison par le haut) et descendre le long de l’axe central de manière àpermettre l’accès au « dessus  » de la maison, voire aux cultures qui poussent sur son toit.

Nous parlons des personnages également, chargés de porter un caractère particulier, une qualité, un type de personnalité. Nous avons pour l’instant un couple de parents, elle architecte, lui ingénieur, et 5 enfants dont chacun illustre une facette de la nature humaine. Le narrateur est actuellement un homme âgé d’environ 65 ou 70 ans, qui observe la famille et décrit la construction du prototype de la maison. Je ne suis pas sà»re que le point de vue de ce narrateur soit pertinent, je me demande si je vais garder ce personnage et si je ne vais pas plutôt opter pour le point de vue plus « omniscient  » d’un narrateur extérieur. Les étudiants ne sont pas convaincus. Ils argumentent avec justesse, suggérant que ce personnage incarne la tradition, une sorte de garde-fou aux avancées technologiques trop audacieuses, et aussi une mémoire du passé récent. Bon, le voilàen sursis, il vient d’échapper àla disparition... Moi aussi je l’aime bien, mais son point de vue n’est pas omniscient, ce qui présente quelques problèmes dans la présentation du récit. Il ne peut parler que de ce dont il est témoin. Comment allons-nous présenter tout le reste ? Si nous gardons Sylvestre (c’est son prénom), nous allons devoir contourner cet écueil. Mais c’est précisément un point crucial posé àl’auteur : qui parle ? et d’où ?

Voilà ! Nous avons donné le ton de ce que va être cette élaboration commune d’un roman. Que son thème central soit celui d’une construction me paraît soudain convenir parfaitement àcette forme de réalisation àplusieurs. L’inventivité des étudiants, leur imagination toujours prête àse déployer promet de bons moments d’architecture et de littérature.
L’atelier est ouvert àtous, étudiants, personnels, enseignants ; les étudiants des écoles voisines (Polytechnique, etc.) sont également les bienvenus.
Rendez-vous le 22 octobre.

19 octobre 2015
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