dans l’intervalle

Mars

Je prépare le premier atelier d’écriture dans le Jardin anglais du château :

Je me tiens au milieu de l’îlot d’arbres. Je lève la tête. J’attends. Je les laisse se familiariser à ma présence. Je goûte le soleil qui s’amuse de nos ombres.

Je n’y tiens plus, je les touche, je les flatte, les effleure, les agrippe. Toutes ces gammes d’écorce sous ma paume, suaves, rugueuses, piquantes, collantes. Ces corps qui se disent sous mes doigts : ici une cicatrice, là des replis, ici une larme, là une cale, des écorchures, une brisure, un défilé pour fourmis, une caverne pour vers... Des racines aux cimes, ils susurrent, ils clament. J’écoute. J’écoute jusqu’à l’étourdissement.

La disparition du soleil met un terme à la célébration. Rassasiée, je retourne à la fenêtre d’où je pourrai demain les regarder. De la fenêtre, je sentirai leurs histoires fourmiller sous mes doigts.

L’atelier s’intitule « L’Esprit des plantes » et le projet est d’écrire dans un rapport physique à la nature, aux arbres ; de changer de perspective en faisant une expérience du corps...


Avril

Le premier atelier d’écriture n’a pas eu lieu et depuis deux semaines je reste à la maison. Comme ma famille, mes amis, comme tout le monde, je suis confinée. Je suis loin du Jardin anglais mais le souvenir du toucher des arbres est toujours vif. Je compose une proposition d’atelier sur cette idée.

Le château de la Roche-Guyon la publie : il s’agit d’écrire à partir d’une photographie. J’ai toujours à l’esprit les mots de Marina Tsvetaeva, « Ecrire des poèmes, c’est déjà traduire. Ecrire des poèmes, c’est écrire d’après ». J’opte pour un arbre dont le tronc arbore une entaille.

Nous avons des réponses ! C’est une expérience inédite et touchante : recevoir des écrits d’inconnus, qui ont en commun l’attention portée à un arbre.

«  Au bord du vide, je me suspends à toi
Retiens-moi, le monde s’effrite sous mes pieds
 »

Sylvie Vannucchi

« Au sol tu es lié pour des siècles
Mais d’autres humains viendront t’admirer,
T’enlacer et même embrasser ta peau rugueuse
Où subsiste comme une estafilade
Une large cicatrice entaillée au canif
A la vie, à la mort, à l’éternité »

Patricia Fert

« Cette cicatrice, j’y laissais courir mes doigts à chaque fois que je passais près de l’arbre.
Je le faisais sans y penser, juste pour jouer avec les lignes de l’écorce.
 »

Stéphanie Bocquiault-Boulay

« L’asservissement consiste en un savant mélange entre chimie et biologie, c’est une drogue dure. Dans cet état grégaire, quelle probabilité y avait-il pour que le fil des choses soit interrompu ? Un accident dit-on. Un événement imprévu et soudain, dénué de sens, juste une probabilité, un chiffre sur l’échelle du destin. Pourtant elle était là, seule, désunie, individuelle. Elle avait rompu la chaîne, s’était affranchie de son travail de forçat pour explorer la solitude au creux de l’écorce. Une cicatrice le long du chêne offrait un terrain unique de découverte et des possibilités infinies, une autre vie pour celle qui avait osé dresser ses antennes au-delà de la colonie. »

Céline Deboval

Les textes sont publiés dans leur intégralité sur la page facebook du château de la Roche-Guyon.
Il n’y a pas de date limite pour participer, c’est ouvert à tous.


Mai

Dans cet intervalle nous avons tâtonné, inventé. Nous nous sommes salués. De loin.
Désormais que va-t-il advenir ? J’ai hâte d’être en présence de ces personnes et d’autres, inconnues, hâte d’être en atelier au pied des arbres, dans le Jardin anglais.


Claire Le Michel

25 mai 2020
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