deux fois deux égal trois



Est-ce corrélatif à l’abandon du sujet ? Dans nombre de poèmes de James Schuyler (né à Chicago, 1923 – mort à Manhattan, 1991), la plupart des notations de couleurs sont à percevoir comme des substances, en français invariables (il y en a beaucoup : à New York, Schuyler écrivait pour Art News en tant que critique et éditeur associé. De 1955 à 1961, il fut commissaire d’expositions itinérantes pour le compte du MoMa) Et d’ailleurs :
« Les jours filent et nous croyons devoir y laisser notre marque. C’est tout autrement. Ils nous marquent, le
Temps et les saisons, de sorte qu’en regardant en arrière il y a de longues avenues dépeuplées
Bleu-gris […] » trad. Bernard Rival, "Hymne à la vie" : Le Cristal de Lithium, TH.TY., 2010 : p.20.
Mais aussi :
« Mais, aussi, le silence dans lequel sortent du bourbier les feuilles violettes
(Feuilles de violettes, je veux dire) » [3]
Qualifiés et qualifiants s’intervertissent ou, comme l’écrit Stéphane Bouquet : « La comparaison les fait entrer [les choses] dans un réseau sans fin où une chose verse dans une autre [...], » [4]
Dans Il est douze heures plus tard (titre-vers extrait du poème "Empathie et nouvel an" publié p.50), Stéphane Bouquet a traduit des poèmes de différents livres de James Schuyler dont : Freely Espousing (1969) . The Home Book 1951 – 1970 (1977) . The Crystal Lithium (1972) . Hymn to Life (1974) . The Morning of The Poem (1980) . A Few Days (1985) .
Dans Le Cristal de Lithium, Bernard Rival a traduit les quatre longs poèmes qui donnent leur titre aux quatre derniers livres. [5]
Le jeudi 20 octobre à partir de 19 heures à l’atelier
Bernard Rival lira l’un de ces quatre longs poèmes et Stéphane Bouquet plusieurs « fleurs » — expression que j’emprunte ici à James Meetze citant James Schuyler (Other Flowers, Farrar, Straus and Giroux, 2010) : « "Quelles autres fleurs y a-t-il ?", demande Schuyler dans son poème "Catalogue", comme pour nous rappeler que ce qui est initialement montré n’est pas nécessairement l’image complète. »
« what other flowers are there ?
wild flags, rank daisies, black-eyed susans in Laurentian meadows
suns »
En 1952, au sortir d’une séance de tournage pour un court-métrage sur un scénario de son cru, James Schuyler dit à John Ashbery : « et si nous écrivions un roman ? » « Comment ça ? » « C’est facile, tu écris la première ligne. » « Pour ne pas me laisser manœuvrer, se rappelle Ashbery, j’ai fourni une phrase de trois mots :
"Alice était fatiguée." »
« Alice était fatiguée » sera le début du roman de John Ashbery et James Schuyler, A Nest of Ninnies (1968). Trad. française Patrice Ladrange et Abigail Lang : Un nid de nigauds, Les Presses du réel, 2015. « Une traduction à quatre mains pour un roman à quatre mains », dit Abigail Lang. L’occasion de nombreux allers-retours sur lesquels les deux traducteurs souhaiteront sans doute revenir le 20 octobre : ils présenteront James Schuyler et liront des extraits de Un nid de nigauds. John Ashbery et James Schuyler n’ont achevé leur roman, commencé en 1952, qu’en 1967 :
« Pour y arriver, nous avions convenu d’infléchir un peu nos propres règles : au lieu d’alterner phrase par phrase, chacun pouvait écrire aussi longtemps qu’il le souhaitait, jusqu’à des paragraphes entiers. » [6] Un roman « conversationnel », comme l’est la poésie de James Schuyler, comme si les deux auteurs, mutuellement se relançant, jouant à se comprendre, jouaient aussi probablement de leurs malentendus…

Avec la participation de la Librairie Michèle Ignazi
Remerciements à l’Association Double-Change
proposé par
[1] Il est douze heures plus tard, p.165
[2] Il est douze heures plus tard, p.128
[3] Le Cristal de Lithium, "Hymne à la vie", p.20
[4] Il est douze heures plus tard, p.170
[5] Une première traduction du poème "Le Cristal de Lithium" par Dominique Fourcade était parue dans : Vingt Poètes américains, une anthologie ; éditée par Michel Deguy et Jacques Roubaud, Gallimard, 1980.
[6] Un nid de nigauds, p.7