Devenir écrivain
La question m’est plusieurs fois posée par des élèves : Vous allez nous apprendre à devenir écrivain ? Ma réponse est simple : Non. Non, et je ne suis même pas certain que vous allez écrire de la littérature. Vous allez écrire. Je vais vous proposer des exercices, je vais aider celles et ceux qui seront en difficulté et vous allez tous parvenir à écrire. Et ce sera déjà une très grande chose.
Ensuite dans certaines classes, vous enregistrerez vos textes (pas forcément celui que vous avez écrit, on en parlera plus tard, on prendra une décision collective à ce sujet), puis on fera du montage, du mixage et vous déciderez si – oui ou non – on met les podcasts en ligne sur le site du lycée.
J’aime bien employer le mot « exercice » pour décrire ce que l’on va faire. Il poisse le scolaire, fait comprendre aux lycéens ce que nous sommes en train de faire. J’ai orienté ma pratique des ateliers d’écriture vers les publics contraints depuis une quinzaine d’années. Les élèves ne s’inscrivent pas d’eux-mêmes à un atelier, ils ne sont pas acquis à l’écriture. Quand je parle avec eux d’exercices d’écriture, je parle de technique, de construction de phrases, de manières de tresser des points de vue, d’aller chercher des mots, de l’importance d’une virgule. On oublie vite le poids intimidant du littéraire. Je préfère d’ailleurs être dans la salle de classe qu’au CDI où une armée d’auteurs morts veille sur les étagères (où l’éclatement des tables permet aussi souvent à des élèves de se cacher et de ne pas travailler).
Ce que j’aime, dans l’atelier, c’est le moment de l’atelier : ce qui se passe au présent. Il faut trop souvent aboutir à un résultat fini qui est toujours un peu bancal, un peu forcé, un peu consensuel, alors que le moment même de l’écriture, celui où les élèves sont face au papier avec un crayon en main, celui où chacun lit son texte en fin de séance, est un moment intense, fragile et souvent magnifique. Pour obtenir un résultat fini, il faudra ébarber certaines singularités, faire du collectif là où l’écriture est individuelle. Il faudra ôter certaines impertinences admirables qui heurteraient les parents, la direction de l’établissement, un éventuel inspecteur qui aurait l’idée d’écouter les productions des élèves. Il faudra normer alors que – durant l’atelier – j’invite chaque élève à ne surtout pas se censurer.
Je tente d’expliquer à chaque élève combien écrire peut les concerner, combien l’écriture permet de se sentir libre. Écrire, c’est être dans la vie. On se fout un peu d’écrire de la poésie, de faire de l’art. Ce n’est pas aussi simple, l’art, cela ne peut pas provenir d’un atelier mais d’une démarche personnelle. Simplement, le moment d’écriture au présent dans l’atelier est un moment d’émancipation. Écrire est une arme (je pense toujours à cette ultime phrase écrire par Kafka dans ses journaux : Toi aussi, tu as des armes).
A un moment, toujours, des élèves ne veulent pas écrire parce qu’ils n’ont pas d’imagination. Objection que j’écarte en riant. Moi non plus, je n’ai pas d’imagination, cela ne m’a pas empêché de publier plus de 50 livres. Je propose souvent des exercices (j’en reviens à ce terme) qui reposent sur l’observation. Si on écoute, on regarde, on sent, on ressent, on n’a pas besoin d’être imaginatif. Tout est là, servi pour nous sur la grande table du réel. Inventer, c’est recombiner. J’use et j’abuse de l’image du Lego. Le monde nous offre des briques, on ne les invente pas, on passe juste notre temps à les recombiner pour donner forme à de nouveaux jouets.
Peu à peu, le silence se sait, les élèves écrivent, quelque chose se passe, une chose qui se renouvellera quand – après mille récriminations et tentatives d’esquives – les élèves liront leurs textes et que leurs camarades les applaudiront.
J’ai animé mes premiers ateliers d’écriture il y a plus de trente ans, j’étais animateur socioculturel et j’étais convaincu que l’écriture était une clé : pour apprécier la lecture, pour affirmer une expression de soi, comme enjeu esthétique et artistique, comme possibilité (je me répète) d’émancipation. Le tout premier atelier que j’ai mené connectait trois écoles primaires qui s’envoyaient des textes par Minitel. Depuis, je suis devenu écrivain, depuis j’ai animé bien d’autres ateliers, pour des bibliothèques, des théâtres, des institutions, des associations, des prisons et des écoles. D’une certaine façon, l’atelier d’écriture est un moyen de faire de la politique, directement. Cette possibilité est précieuse. Quelque chose peut se passer. J’explique que je ne cherche pas l’excellence littéraire mais bien l’expression des voix de chacun et chacune. Il n’y a pas de mauvaise réponse à une consigne d’écriture : si un élève écrit, c’est gagné. C’est ma façon concrète de venir casser la rengaine : arrêtons de chanter la ritournelle pessimiste du désintérêt général de la lecture et de l’écriture, retroussons nos manches et tentons de nous y coller. Il se peut alors qu’un élève se laisse porter par la joie, qu’il accepte la surprise et qu’il découvre que lire comme écrire sont aussi des plaisirs.
C’est fini, c’était une année belle et compliquée, épuisante et – paradoxalement – ressourçante. Je voudrais remercier les élèves qui ont bien voulu écrire, les profs qui ont bien voulu m’ouvrir la porte de leur classe et Mariette & Philippe, Laurence & Pascal, Anne, Arno qui ont bien voulu m’accueillir sur un canapé déplié ou une chambre d’ami durant ces huit semaines de résidence.