insoumission et littératures / qui ? quoi ? comment ? pourquoi ?


« insoumission et littératures »


présentation / qui ? quoi ? comment ? pourquoi ?




De cet espace incontrôlable, où se recrée organiquement le lien entre l’imaginaire et la liberté, nous sont venues et peuvent encore nous venir nos plus fortes chances de conjurer le désagrément d’exister. Ce qu’on appelle la poésie n’a pas d’autre justification.

Annie Le Brun





Puiser à d’autres textes, tendre l’oreille vers des voix venues de différents milieux artistiques, faire circuler les idées, s’entrechoquer les époques, et marier les genres. Vouloir connaître, c’est-à-dire tendre vers l’inconnu, au risque de perdre pied, remettre en cause pour inventer : voilà les raisons d’être possibles d’un besoin d’écrire, entendu comme un mode d’exploration. Vouloir connaître, c’est aussi une manière d’entrer en dialogue avec le public lecteur, auditeur. Écrire non pas d’abord pour aller vers soi, mais dans l’espoir de rejoindre l’autre, d’échanger avec lui sur la nécessité de sortir des ornières du chemin qu’on nous a dicté, réfléchir avec lui à des moyens possibles d’y parvenir, découvrir grâce à lui, grâce à cette altérité, au lecteur, au public, d’inattendues respirations.

On ne peut nier qu’aujourd’hui, en ces temps d’austérité, certains pouvoirs nous incitent à ne pas écouter la voix de l’autre. Dans son essai Survivance des lucioles, Georges Didi-Huberman évoque la lumière crue des extrêmes qu’on nous inflige et lui oppose la lumière douce et pulsative de la nuance ; il lui oppose la survivance, envers et contre tout, des signaux humains de l’innocence. Cette même volonté de survivre sans céder aux diktats qu’on nous impose, dirait-on de plus en plus violemment, cette volonté d’insoumission, par le biais de la création, est à l’origine du projet de résidence qui s’amorce aujourd’hui.

Il y a un an, une grève générale étudiante, dont l’ampleur pouvait rappeler celle de mai 68, surnommée le Printemps érable, battait son plein au Québec et divisait la population de ma province d’origine. Il y a un an, je discutais avec un ami des lourdeurs de l’endettement étudiant au Canada (point de départ de la grève), de la mainmise du système financier sur la jeunesse, des effets d’étouffement qu’elle entraîne pour des dizaines de milliers de jeunes chaque année. Intéressé, entre autres, par la vaste problématique de l’endettement comme outil d’assujettissement, il m’a alors proposé d’écrire un texte qui, allant du collectif à l’intime, témoignerait de ma propre expérience de l’endettement étudiant, et pourrait plus largement susciter une réflexion. Il s’agissait d’une tentative de recentrer le débat (qui tendait dangereusement vers la petite politique politicienne du fait des mesures de réaction prises par le gouvernement alors en place) sur les enjeux réels et profonds de cette grève : l’insoumission aux diktats de la finance, le refus de l’endettement en tant que moyen de muselage. Ce texte, relayé sur de nombreuses tribunes, m’a permis de mesurer à quel point le désir d’insoumission sous-tend ma démarche d’écriture.

Je propose, dans le cadre de cette résidence, de créer un lieu ouvert, une plateforme de réflexion sur l’insoumission en littérature (roman, poésie, essais), d’inventer un lieu d’échange entre littérature d’ici et d’ailleurs autour de cette question, en permettant la réunion de diverses voix. Dans le seul objectif d’enrichir des champs littéraires communs, car d’abord humains, et contemporains, j’ai fait le choix d’approcher la Librairie du Québec. Îlot culturel parisien au statut plutôt singulier, ce lieu devrait permettre une multiplication des points de vue tout à fait unique, un croisement des regards, une réflexion sur les formes possibles d’insoumission à retrouver dans la littérature d’aujourd’hui, afin de répondre au désir de sortir des sentiers battus et de construire des ponts, voire de renouveler un souffle.

En préparant chacune de ces rencontres, il s’agira de développer une réflexion théorique, à la fois personnelle et collective, de soulever des questions sur les textes choisis (fiction, poésie, essai) en rapport avec le thème de l’insoumission, questions évidemment toujours reliées à l’œuvre des auteurs conviés. Ces entretiens, je l’espère, seront l’occasion d’échanges avec le public, invité par la librairie et moi-même à prendre une part active aux discussions, au dispositif mis en place. Je propose d’aller puiser, entre autres, au répertoire québécois (et francophone), dans une tentative, comme je le mentionnais précédemment, d’ajouter une épaisseur aux questions d’insoumission, et de susciter de nouvelles pistes de réflexion chez des auteurs d’ici. En allant au-delà d’une étude de nature comparative, il s’agira de nourrir une réflexion collective en multipliant les points de vue. Les auteurs conviés seront invités à produire un texte né de la rencontre avec les textes proposés, qu’ils pourront lire devant public, s’ils le souhaitent.

Au cours de ces dix mois, je tiendrai un carnet où je partagerai les découvertes qu’auront permis ces discussions, et qui pourrait ultérieurement servir à la rédaction d’un essai poétique auquel je réfléchis depuis longtemps, sur l’idée d’insoumission et de survivance dans et par la littérature, dans un contexte contemporain. Notons enfin que pour conclure ces ateliers, nous souhaitons produire un recueil des textes nés de toutes ces rencontres, qui sera offert par la librairie à titre gracieux aux personnes désireuses de garder une trace de ces échanges ou de découvrir le fruit des réflexions menées.



Hélène Frédérick

28 janvier 2014
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