La mort d’un écrivain

C’est Dora qui m’a appelé le lundi, à vingt-deux heures. Je regardais avec Alma une série légère sur Netflix, mon téléphone était en mode silencieux. Après la fin de chaque épisode, j’ai toujours ce même réflexe un peu ahurissant de checker mon iPhone. Je me dis : « On ne sait jamais ! » On ne sait jamais quoi ? Je ne sais pas. Dora m’avait envoyé un message : « Vassilis est mort. Je suis d’une tristesse infinie ».

J’ai appelé Dora ne sachant pas quoi dire, je suis incapable de formuler une seule phrase utile dans ces moments-là, je ne suis bon qu’à organiser des choses, gesticuler dans tous les sens mais là, il n’y avait rien à faire, j’ai donc laissé parler Dora, et Dora parle bien : « On l’aimait beaucoup cet écrivain quand même. C’est toujours triste quand un écrivain meurt. Il écrivait si bien. On aime ses livres. Mais bon, il s’est laissé aller après la mort de son éditeur et son éditeur, c’était tout pour lui. Akh Sabyl, je suis triste, je n’arrête pas de pleurer. Tu es triste, aussi ? »
– Oui, je suis triste Dora. Et Christophe ?
– Christophe est triste aussi.

Christophe, je n’ai pas osé l’appeler car je ne veux pas parler de la mort avec lui. Je ne veux pas car j’ai toujours peur que Dora m’appelle pour me dire : « Christophe est mort ». La vérité, c’est que l’appel de Dora à vingt-deux heures, je l’ai aperçu quand je regardais la série et j’ai pensé (étant donné l’heure inhabituelle de son coup de fil) : « ça y est, il est mort ! », j’ai donc fait le choix de ne pas répondre, je ne voulais pas entendre Dora m’annoncer l’horrible nouvelle. Car si Christophe meurt, ce n’est pas seulement un grand écrivain qui partira mais surtout l’un de mes meilleurs amis et je ne saurais pas comment faire sans lui.

Après avoir raccroché avec Dora, j’ai regardé ce que Vassilis Alexakis avait écrit à propos de la mort. C’est un réflexe que j’ai quand un écrivain meurt, de toujours chercher ce qu’il avait écrit à propos d’elle. J’ai trouvé cette citation dans son roman Le premier mot :

« Le plus bel hommage qu’on puisse rendre à un défunt a été imaginé à mon avis par certains aborigènes d’Australie. Lorsque leur chef meurt, ils suppriment un mot, ils l’effacent définitivement de leur langue. »

J’ai pensé supprimer le mot « mort », ainsi on ne pourra plus jamais annoncer la mort d’un écrivain, Dora ne sera plus jamais triste et Christophe restera toujours avec moi.

12 janvier 2021
T T+