Pré-résidence, 2
13.5.22
Parce que je faisais des courses, ce vendredi matin, au Super U à côté de chez moi. Et, dans les rayons, je me suis surpris à penser, non pas au Réseau Robert Keller, le livre en cours, mais à la résidence elle-même. Je repensais à la réunion la veille, à la médiathèque, mettre les choses en place, pour samedi 1er octobre, 15 h [1], le lancement de la résidence auprès du public, présentation de l’auteur (moi), du projet, quelques dates, des lectures. La date de début de résidence est quant à elle fixée au 1er septembre, parce qu’il faut bien poser des dates et commencer à écrire, à fouiller les archives. Bref, je marchais entre le rayon petit déjeuner et le rayon bio, en pensant que la résidence avait déjà commencé.
Et puis la réunion (qui était d’ailleurs plutôt une pré-réunion) n’était pas évidente-évidente. Il y a des choses à prévoir et j’ai une phobie de la planification. Il y a des choses à accepter de bon cœur, et d’autres à refuser et c’est toujours difficile de refuser, mais il faut faire des choix et être certain d’être bien, faire attention à soi, en somme. Une résidence, c’est une entité particulière, entre écrire et faire écrire, voire se faire écrire, ou étant écrit, si on l’accepte, et jusqu’où. Il y a une écriture du projet de résidence à trouver, il y a un collectif, tout est préparé en amont dans le dossier que le jury a lu, puis se détaille de manière pratique dans les rencontres à organiser et les différents désirs qui se retrouvent entre l’écriture du livre, le discours sur l’écriture du livre (qui passe par ce journal [2]), le journal de résidence qu’il y aura ensuite, et la médiation qui se crée entre le public ("les publics"), les institutions accueillantes et l’auteur ; il y a les ateliers qui sont encore autre chose au confluent de tous ces flux. L’écriture doit rester au centre, l’auteur et son écriture personnelle, mais aussi l’écriture en général, la geste poétique, la possibilité de faire littérature, l’acte d’écrire. Il s’agit d’une écriture culturelle, d’animation, d’organisation(s), de médiation, de lieux, de personnes ; d’une écriture politique de l’écriture.
Je me souviens de Châtenay-Malabry où la mairie avait réussi par ruse à annuler un atelier d’écriture de l’UPEM au sujet de l’écoquartier en cours de construction par Eiffage sur les ruines recyclées de l’École centrale Paris. Tout le monde était d’accord : l’université bien sûr, et son laboratoire de recherche en littérature, le constructeur également, qui n’avait pas peur des mots, mais la mairie bloquait sur les termes "rêve" et "souvenir". On sous-estime combien les politiques surestiment les mots. Pour la mairie de "Châtenay", l’École centrale "Paris" n’avait pas existé et les habitants ne se souvenaient pas de l’École centrale. Lors d’une première rencontre avec le public, une riveraine avait raconté un matin, ouvrant ses volets, le nuage de poussière d’un bâtiment tout juste détruit de l’École ; la responsable de la culture avait déclaré plus tard : "Elle ment, elle ne peut pas s’en souvenir". Quant au mot rêve, rêve de ville, ville rêvée, c’était autrement intenable. Bref, après avoir accepté le projet d’atelier, celui-ci avait simplement été oublié dans le guide des activités culturelles de rentrée, oups. Avec L’aiR Nu, Eiffage et l’UPEM, le livre est toutefois sorti [3]. Mais il ne s’agissait pas d’une résidence, c’était une autre écriture encore, comment la décrire ? Celle du partenariat peut-être.
C’est curieux de se dire, "début de la résidence, 1er septembre", parce que je pense au livre tout le temps. En septembre, ce sera différent, je ne serais plus seul, mais je ne le suis déjà pas. Je pourrais tout repousser à septembre, prises de notes, recherches, pensées, mais je ne peux pas ne pas penser au livre, c’est le problème des écrivains en vacances : ça n’existe pas. Quant à la résidence, elle a commencé dès que j’y ai pensé, dès qu’avec Claire Peronnet, Valérie Barbier-Vaillant et Flora Duret nous en avons parlé dans le bureau Archives-Documentation, et elle court, cette résidence, depuis, de loin en loin, dans mon cerveau.
Quant à ma marque de céréales habituelles, peu sucrées au rayon non-bio, il n’y en a plus. Il faut aller au rayon bio pour passer sous un certain taux de sucre. Les mueslis U ont été remplacés par d’autres mueslis U présentés sous un nouveau packaging, que j’ai d’abord acheté en toute confiance, mais la modification touchait plus que le paquet et le design. Toute la recette était changée, pas tant le mélange de fruits, noix, céréales, que le taux de sucre lui-même. J’ai trouvé ça incroyable, de traiter aussi mal ses clients habitués du rayon non-bio, autant dire le rayon accessible, le rayon de tout le monde. Trahi par U. Et devoir dépenser 1 à 2 euros de plus par kilo, au minimum, dans une autre marque pour manger moins de sucre, et se sentir mieux. Alors je me suis dit, ouf, la résidence tombe à pic, ça compensera, entre autres choses, la hausse des céréales et le blé fait sur le sucre.
[1] Notez-le dès maintenant. Au RER A Noisy-le-Grand—Mont d’Est, puis à pied ou en bus 303 ou 320, et au 4e étage de l’espace Michel-Simon, dans la médiathèque Georges-Wolinski, avec un verre à partager ensuite.
[3] Lisières limites, écrit par Anne Savelli et moi-même, on le trouve en téléchargement libre dans la librairie de L’aiR Nu.