« Si vous écrivez pour conjurer la honte, vous êtes une révolutionnariste ? »

Ils viennent de regarder la vidéo que j’ai tournée pour eux. Elle dure quinze minutes et je dois avouer qu’elle contient des longueurs. Mon excuse : je l’ai faite en deux jours. Et puis c’est juste un support pour la rencontre, pour aller au-delà des mots qui expliquent.
J’ai toujours tendance à surexposer les images, j’ai peur qu’on ne voie rien, que ce soit sombre. Alors quand je vais trop vite, que je ne me contrôle pas, il y a trop de lumière. Trop de lumière, ça abîme l’image, elle perd de sa précision, certains détails ne s’inscrivent pas dans l’image enregistrée. C’est comme dans l’écriture, je dis ça aux élèves, si on veut tout montrer, tout dire, on perd de la précision, on noie l’autre, le lecteur.

Leurs questions
On dirait que vous êtes nostalgique de quelque chose que vous n’avez pas vécu, c’est quoi ?
Vous parlez de vos racines, c’est important les racines, on n’en parle pas assez des racines, on va en parler avec vous ?
En fait, vous voulez ressusciter un secret ?
Pourquoi vous n’avez pas fait votre film en noir et blanc ?
Je me demande si votre film c’est du vloguing ou une présentation, je ne comprends pas trop
Quand vous parlez de votre famille, ça m’intéresse, sinon c’est un peu long, vous n’auriez pas pu couper la vidéo ?
1958, c’est vieux, vous êtes encore prise dans une histoire si vieille ?

Et puis, l’un me demande
— Pourquoi vous écrivez ?
Décontenancée par la question, je ne prends pas le temps de mentir
— Pour conjurer la honte, lever le voile sur les silences
— Alors vous êtes révolutionnariste ?
Je dois avoir l’air de ne pas comprendre, parce qu’il répète
— Si vous écrivez pour conjurer la honte, alors vous êtes révolutionnariste, non ?

D’un air détaché, je réponds, oui, en quelque sorte, écrire, c’est organiser une petite révolution.
Les quatre heures passent, je rencontre une quarantaine d’élèves, ils sont tous plus vifs, intelligents les uns que les autres. Certains dorment.

Dans le train du retour, dans mes écouteurs, Silvia Lippi, philosophe et psychanalyste, raconte dans un podcast :
— On ne fait pas la révolution avec des idées, dit Marx, mais avec des corps cassés, qui souffrent. Pour Lacan, c’est Marx l’inventeur du symptôme, le symptôme est politique.

La honte est mon symptôme, l’écriture ma révolution.

Qui est là pour transmettre, eux ou moi ?

29 septembre 2024
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