Asphaltes (Intro)
Traduit de l’italien par Pascal Leclercq
Je ne peux que regarder des asphaltes,
saisi d’admiration, soulagé,
dans les petites fatigues de la traversée,
du cheminement circonspect, la foule
bien disséminée, et des jeunes nerveux
avec des sacs sur le dos ou en bandoulière,
et des vieux qui ralentissent le flux,
qui sont contraints de s’arrêter lorsqu’ils pensent,
toutes les variétés d’asphaltes, les longues jetées
encore noires et brillantes, rugueuses, et les vieilles
plaques, fissurées ou explosées, avec des strates
de ciment gris qui affleurent, et les dates,
toutes les dates gravées, d’une plaque
ou d’une autre, d’un tube exhumé,
ou des tresses de câbles dans de nouvelles aortes...
Les asphaltes
à présent que je les observe et les photographie,
et que je rêve la nuit de les peindre
sur de vastes parois, calcinées,
s’ouvrent comme des paravents et des rideaux.
Ces asphaltes sont plus purs,
plus satinés que les surplombs
des gratte-ciel, ils ont plus d’histoire
que nos archives familiales
sont plus mystérieux et profonds
que les habitacles des autos stationnées
lorsque le passant, par hasard, les scrute.
Toutes nos traces ultimes,
les efforts cachés,
les urgences biologiques,
sont fixées là, endormies
comme dans du gluten, dans l’attente
d’une levure qui ne viendra jamais,
les oignons ou les grenouilles éventrées, les boues
digestives, les jaunes d’œufs séchés,
les caillots de peinture, les sigles mystérieux
tracés à la craie, lacets,
cuillères, pétales, poignées,
et les pulpes des aliments, les épluchures, les carottes
grattées avec le talon, les clous,
les solides clous cerclés
de peinture rouge,
ces clous, les derniers
qui peut-être maintiennent tout
fixé sur une croûte,
sur quelque chose d’encore terrestre
d’ancien, de préhistorique, avant
qu’avec la vie ne glisse aussi
l’échafaudage entier : décors intérieurs,
denrées, métaux, la jungle légère
des marchandises, et nos écailles de ciment
qui durent à peine plus longtemps que nous.
°
Non posso che guardare asfalti
mirabilmente, con sollievo,
nelle sottili fatiche dell’attraversare,
del camminare circospetti, la folla
ben disseminata, e giovani scattanti
con zaini o borse a tracolla, e vecchi
che rallentano il flusso, che pensando
sono costretti a fermarsi, le varietà,
tutte, di asfalti, le lunghe gettate
ancora nere e brillanti, rugose, e le vecchie
pezze, crepate o esplose, con strati
di malta grigia affioranti, e le date,
tutte le date incise, di una pezza
o di un’altra, di un tubo riesumato,
o di trecce di cavi in aorte nuove...
Gli asfalti,
ora che li osservo e li fotografo,
e sogno la notte di dipingerli
su pareti ampie, calcinate,
si aprono come paraventi e sipari.
Questi asfalti sono più puri
e levigati degli strapiombi
di grattacielo, hanno più storia
dei nostri archivi familiari,
e sono più misteriosi e fondi
degli abitacoli delle auto in sosta
quando il passante per caso li scruta.
Tutte le nostre tracce ultime,
i reconditi sforzi,
le urgenze biologiche,
sono fissate lì, addormentate,
come in un glutine, in attesa
di un lievito che non verrà mai,
le cipolle o le rane spappolate, i fanghi
digestivi, i tuorli d’uovo seccati,
i grumi di vernice, le sigle misteriose
tracciate con il gesso, stringhe,
cucchiai, petali, maniglie,
e le polpe dei cibi, le bucce, le carote
grattate da un tacco, i chiodi,
i potenti chiodi cerchiati
da una vernice rossa,
questi ultimi chiodi
che forse tengono tutto
fermo, fissato su una crosta,
su qualcosa di ancora terrestre,
antico, preistorico, prima
che scivoli via con la vita
anche l’intera impalcatura : arredi,
derrate, metalli, la giungla leggera
delle merci, e i nostri gusci di cemento
appena più longevi di noi.
[Ce texte ouvre la section finale d’un livre de 2008 (La distrazione, Sossella, Rome)]