Je décide de m’y rendre àpied

Je songe aux mots qu’il pouvait dire, j’ai éprouvé une émotion… Très vive.
Les pieds glacés dans une prairie d’une grande douceur.
Ne t’inquiète pas, ce n’est pas grave, dans la rue encombrée de gravats.
Le dé jeté peut donner àvoir un bout de ciel. Fini les recommandations de ma mère.
Le pavé abandonnera mes mains et vivra sa propre vie. Peut-être un jour mes pas le retrouveront. Ici dans cet antre de pierre, je sens sous mes pas des âmes lointaines, leurs voix résonnent en écho. Couper casser chuter bâtir élever aimer entonne la voix des carriers, les verbes et les gestes virevoltent dans ma tête.

Je ne sais plus. Cela fait tellement longtemps que je suis là.
Je passe sur le chemin qui sépare l’ancienne carrière de l’aérodrome. Est-ce que les deux activités ont été un temps concomitantes  ? Est-ce que les hommes volants ont vu les hommes poussière  ? On avait rendez-vous. Il y a bien du sable, des pierres mais je ne suis pas sà»r. Je t’ai parlé tu écoutais, effrayée par ce que je te racontais de ma journée. Trop fatigué je n’ai pas songé àt’embrasser.

La pluie vient. Je marche.
Je marche avec toi. Où es-tu  ?
Pas ici. Je ferme les yeux, je vois la forêt. Notre forêt. Les oiseaux, les crissements ont disparu. Le silence est ici. La pluie vient. À la surface de la pierre, sur l’arrête de ce bloc, au flanc de la falaise.

Pas un vrai silence où rien ne s’entend, non, un silence de vie, différent le jour, la nuit. Il s’est arrêté, a regardé, on aurait dit qu’il flairait la pierre. Dix-huit tonnes de sable siliceux en direction de la merveilleuse Vénétie. Recouvert de mousse, la roche y était grise. Nous avons discuté longtemps et il est reparti travailler, très timide.
Ça se fait de famille en famille, l’histoire de la carrière.
De ma maison ça ressemble àrien. J’entends le bruit des camions. J’ai vu un homme qui avait vingt ans et qui travaillait àla carrière. Il ne rentre même pas chez lui pour manger. Le contour des rochers que l’on coupe est plus ou moins droit. Le voir comme ça, heureux de son travail. Mon père, il travaille tellement que je ne passe pas beaucoup de temps avec lui.

Moi aussi je serai carrier, alors je partirai le matin très tôt et je reviendrai fatigué le soir, heureux comme moi-même et le midi je me reposerai dans la mousse fraîche. J’ai toujours aimé m’enfoncer dans les bois avec cette odeur d’herbe. Quand j’arrivais àla carrière mon père était assis àl’ombre d’un chêne mort. Je m’approche de lui en le regardant attentivement, il me lance un sourire et continue son travail. Il prenait les mesures des pierres et taillait au centimètre près. Il aime bien savoir comment casser les pierres en deux.

Le camion doit arriver. Je vais voir les personnes qui créent des choses.
À la fin de la journée, mes chaussettes sont pleines de sable.
Nous sommes les chiens du carrier, nous devons surveiller. Le carrier est notre meneur, quand nous devons le suivre, nous le suivons. Nous avons fait beaucoup, nous partons et nous allons courir dans les champs. Nous avons été nous cacher. Dans la carrière il y a tant de choses àfaire. Le sable était doux. Nous allons àla carrière pour voir là-bas tous les soirs, le ciel avec plein d’étoiles.

Quand je me réveille je le vois. Mais je suis incertain de rester dans la carrière. À côté il y a un olivier et une machine qui grince. Je suis un travailleur qui taille le grès. Je soulève des pierres, j’apprends, je réfléchis àcomment les utiliser, j’ai mal au dos tant c’est lourd.

Je suis en pierre.
Je rentre àl’intérieur.
Je connais des choses mystérieuses que moi seul connais. Le soir je suis seul sur le sable. Les carriers se reposent avec moi. Le grès se métamorphose en petits pavés transportés en ville. À la réflexion nous n’avons pas envie d’être un pavé. C’est vrai. Sur le chemin de la carrière, il ne peut pas, il lui dit va jouer ailleurs. Je ne sais pas encore combien de temps ça va durer. Pour avoir des forces.
Ici il y a la forge pour faire les outils.
Il est temps de partir, j’ai rencontré un cheval.

Je suis un enfant de carrier je me lève tôt.
J’irai dans une carrière qui est beaucoup plus loin.

14 novembre 2016
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