L’horloge municipale | Olivier Salon
L’horloge municipale
C’est une ancienne mairie, tout simple et sobre
Un bâtiment à deux étages trois niveaux
Maintenant presque oublié,
Abandonné peut-être, même si
Un directeur de théâtre y trouve bureau au premier
Et un centre de loisirs occasionnel au rez-de-chaussée
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Du temps où la mairie y faisait activité
Ce jusqu’en 1988
Le premier étage abritait le logement de fonction
De l’institutrice de la ville
Une institutrice à classe unique, bien entendu,
Qui formait les jeunes Collégeois
À être futurs collégiens
Ils avaient tort de partir, non ?
Ils avaient tort, si ?
Oui, ils avaient Torcy
Comme lointaine ville d’accueil
Pour leur toute nouvelle classe de sixième
Vienne le jour sonne l’heure
Les nuits s’en vont je demeure
Mais le deuxième, le deuxième étage s’entend,
Le deuxième était sis au deuxième.
Et le deuxième étage
Abritait l’horloge municipale
Ainsi que les archives.
Le temps a eu raison des archives
Mais l’horloge est toujours là,
Et le mécanisme manuel
Qui fonctionnait jusqu’en 2013
Mécanisme manuel veut dire à la main
Les employés des services techniques se relayaient
Aux manivelles pour réenclencher le mécanisme des poids
Ce ne sont pas de petits poids
Même s’ils sont verts,
Vert-de-gris
Ce sont deux poids d’un total de cinquante kilos
Qu’il fallait remonter de toute la hauteur de l’ancienne mairie
Une bonne dizaine de mètres
Un poids pour le mécanisme horloger
Un autre pour le mécanisme des tintements
Car un marteau venait frapper la cloche toutes les heures
Marteau frappeur
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Or or or,
Si le mécanisme horaire durait dix jours
Le mécanisme frappeur, quant à lui, ne durait que six
Et non point sept, si ce n’est pas malheureux
Alors un roulement était-il savamment établi
Afin de remonter le temps tous les six jours
Six, nombre du temps bien mal commode
Car s’accommodant mal de la semaine,
Et là, à la manivelle, se sont succédé
M. Racine, Jacques Ducamp, Jacques Zmuda (frère de Lucien, l’ancien maire)
Et ceci se passait en des temps très anciens
Avant 1988, veux-je dire
Et plus récemment Laurent Klein, Kader Boutara, Dominique Eugène et Yves Doléac
Qu’on sonne bien fort les noms de ces braves
Et tout particulièrement le dévouement de leurs bras,
Leurs bras qu’avec respect tout Collégien admire
Leurs bras qui par jamais n’ont quitté le navire
Qui jamais n’ont ménagé leur peine pour remonter les poids du Mécanisme
Paul Garnier
Horloger mécanicien
6 & 16 Rue Taitbout
Paris
Vienne le jour sonne l’heure
Les nuits s’en vont je demeure
Et bien sûr, le filin de suspension des poids, d’abord en métal, qui rouillait
Ensuite en câble plastifié, plus robuste, mais extensible hélas
Finissait par casser
Trois fois en vingt-sept ans,
Il cassa
Les cinquante kilos bien pesés se projetaient dans le conduit de toute leur hauteur
Et faisaient exploser la trappe du rez-de-chaussée
Trappe qui donnait dans un minuscule appartement de fonction
Le gardien de la mairie sans doute
Qui devait être un peu surpris de voir débouler
Cinquante kilos bien pesés
Tombant avec force et rage, et sans prévenir de surcroît
Manque d’élégance élémentaire
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Ils ne tomberont plus jamais, ces cinquante kilos bien pesés
Et les poignées de bois des manivelles
Lissées, patinées, usées mais respectables
Resteront en l’état
Car la modernité par là est bien passée
La modernité interdit l’huile de coude
Lui préfère l’huile électrique
Alors une armoire murale abrite depuis un an
Un tout nouveau dispositif,
Un dispositif automatique, électronique, informatique,
Drôle de tactique,
Duquel toute mécanicité est exclue.
Le mécanisme Paul Garnier subit les affronts des orages et du froid,
Il résiste tant bien que mal, il casse il rouille
Il mugit de son inutilité
Ne serait-il pas mieux en nouvelle mairie exposée ?
Ou bien chez Yves Doléac qui en a des frissons dans le bras,
Vienne le jour sonne l’heure
Les nuits s’en vont je demeure