Les mathématiques

Ce sont toujours des textes courts, rendus aux migrants de l’atelier scolaire. Les histoires tordues de la lettre U n’ont pas toujours été comprises en raison de la langue. Mais cela n’importe pas forcément ; leur rendre le texte est le plus important. Ces textes là sont plus compréhensibles, jouant moins de l’ironie, par exemple. (Eric Chauvier)

Maths 1. Mariam s’exclame : « Je veux des maths ! » Elle sourit, mais elle est très sérieuse. Elle veut vraiment des mathématiques ! La langue française est constituée d’irrégularités, avec ces lettres qui s’écrivent et ne se prononcent pas ; avec celles qui se prononcent mais ne s’écrivent pas. Les mathématiques, au contraire, sont un repère stable et régulier, une compétence qui vaut ici et qui valait là-bas, dans le pays que Mariam a quitté. Les mathématiques sont universelles.

Maths 2. « Je veux des maths ! ». En disant cela, Mariam parle aussi de son passé, de l’époque où elle vivait en Arménie, avec ses compétences, le métier et le statut qu’elle avait là-bas. Que faisait Mariam en Arménie ? Quel était son travail ? Quelle était sa vie ? Les français voient les migrants comme un groupe homogène, avec une histoire commune faite d’exil et de souffrance. Pourtant, avant, ils avaient le plus souvent un métier, une voiture, une vie amoureuse, des enfants, des passions, des habitudes, des qualités et des défauts… Aujourd’hui, cette vie n’est plus visible, mais elle ne peut pas s’oublier facilement. Pour la retrouver, il faut écouter Mariam demander des mathématiques comme si elle était en train de dire : « Mes compétences de là-bas sont encore valables ici ! » Les mathématiques la suivent comme une valise pleine d’images et d’espoir. Elles font la jonction entre sa vie passée et sa vie présente.

Les mots communs. En arménien, « vasi » est une forme du verbe « courir » à l’impératif. Il signifie « cours ». En français, « vasi » se prononce comme « vas-y ». Au final, si j’utilise ce mot à l’adresse d’un Arménien et d’un Français, les deux effectueront la même action : ils se rendront vers un lieu donné. Sauf que l’Arménien ira plus vite – puisqu’il court. Il faudrait classer au Patrimoine Mondial de l’Humanité ces mots qui permettent de faire des ponts entre les langues.

Les faux amis. Mariam montre au mur l’affiche des tables de multiplication. Elle dit : « Multiplication », en arménien, ça veut dire Cartoons ! ». Nous en parlons un peu. Nous exposons nos points de vue. Il faudrait aussi classer au Patrimoine Mondial de l’Humanité ces mots qui permettent d’engager la conversation au-delà des différences de langues et de cultures.

30 mars 2015
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