Mariette Navarro | Déplier une pièce
Cette première partie de ma résidence est plutôt dédiée à la plongée dans l’écriture, quand la seconde verra plus de rencontres et d’ouvertures avec les différents publics du théâtre de l’Aquarium. Voici quelques réflexions en cours d’écriture, à l’heure de déplier encore ma pièce.
Pour l’instant, les livres s’entassent sur la table de travail. Les notes sur les recherches historiques viennent à la rencontre de la fiction et de sa vie propre.
C’est le temps du long travail de construction dramaturgique, et des choix. Je vois maintenant tout ce que je ne pourrai pas dire, tout ce qui ne sera pas cette pièce-là.
Et le texte, paraissant changer de matière, de consistance à chaque version : ces jours-ci, une boule compacte, repliée sur elle-même, que je travaille maintenant à déplier.
Je reviens sur ce qui va trop vite, sur les idées laissées en plan au milieu de la pièce, j’en tire lentement toutes les conséquences. Au risque de créer ici ou là de nouvelles petites boules de sens, dont je tirerai les fils après.
C’est comme ça que ça prend forme et se déploie, enfin, alors que je n’ai l’impression que d’un bricolage laborieux.
Il y a comme une tension entre ma volonté de faire métaphore (passer par les Sorcières pour parler de laïcité, et du rapport de chacun à ses croyances), ma volonté de rester dans une dimension poétique et mystérieuse le plus longtemps possible, et la nécessité à un moment donné d’entrer frontalement dans le vif du sujet.
Il faut donc maintenant que je prenne le temps de ralentir certaines scènes, de développer les pistes qui allaient à toute allure, sans pour autant rien perdre du rythme et de la fantaisie. Donner de la profondeur de champ aussi à ces Sorcières, en passant par le recours à l’Histoire, aux hérétiques d’hier et d’aujourd’hui.
Et cette femme contemporaine, que je mets au centre : prendre plaisir aussi à lui inventer une raison forte d’être là, dans cette lointaine périphérie de ville, en pleine nuit, pour rencontrer ce groupe dont elle ne sait pas grand-chose et ne peut que deviner la puissance.
J’avance comme on passe différentes couches de peinture. Depuis plusieurs mois maintenant, en reprenant chaque fois mon texte de la première page à la dernière pour en trouver l’équilibre. En développant un aspect. En tirant toutes les conséquences, espérant ne pas en oublier. J’avance méticuleusement, et d’autant plus difficilement que le cœur du projet, c’est la contradiction :
Ce groupuscule de femmes, qui à force de vouloir la justice reproduisent les violences qui leur ont été faites. Cette visiteuse installée dans ses doutes. Cette jeune fille pleine de lumière, qui affirme avoir été martyre et pourtant se sent proche du rang des hérétiques. Et ce monde extérieur qui demande sans arrêt qu’on se positionne, dans la croyance brûlante, dans l’athéisme radical, dans la preuve permanente de sa bonne foi.
Voilà que je me piège parfois dans quelques impasses. Voilà que je ne sais plus où mettre les pieds dans les terrains minés de la croyance et de la laïcité. Et qu’il faut pourtant que je trace un chemin franc. Que je ne fasse pas l’économie de la violence et du dérangement.
Voilà que je me prends à espérer que cette pièce sera troublante et drôle, et les échos évidents, à nos chemins tortueux d’aujourd’hui.