« Our home is yours, sweetheart. »

Nancy me serre dans ses bras. Une étreinte à l’américaine, à la fois chaleureuse et impersonnelle.
There’s plenty of food. Feel free to take the bike or the car whenever you want. Our home is yours, sweetheart. See you in a week.
Je la regarde rejoindre mari et enfants déjà installés dans la voiture, la deuxième, plus grosse que celle qu’ils me laissent et que je n’utiliserai pas : je ne conduis pas. 
Tous les membres de la famille m’adressent en même temps un signe de la main avant que l’impressionnant 4x4 démarre et disparaisse en quelques secondes.
J’ai vingt ans et je suis seule pour une semaine dans une immense maison d’architecte perchée sur une colline un peu en dehors de Tacoma. Il y a deux jours, je ne connaissais pas Nancy. Je suis arrivée de Floride avec son beau-frère que je ne connaissais pas non plus il y a quinze jours. Je vendais dans une petite guérite des tickets de bateau à fond de verre. Je ne sais plus comment, il en est venu à me dire qu’il voulait conduire sa Ford jusqu’à l’état de Washington, où il retournait s’installer, et qu’il serait heureux d’avoir de la compagnie. Ceci entraînant cela, j’ai fait la route avec lui, ai eu le temps de tomber unilatéralement amoureuse, de rencontrer sa famille : sa mère et ses neufs frères et sœurs, qu’elle a élevés seule, d’apprendre, avec elle, à fabriquer des vitraux, et de me retrouver sans vraiment comprendre gardienne temporaire absolument rongée d’angoisse. Je n’ai peur ni des cambrioleurs ni des bêtes. J’ai peur de moi. J’ai peur de vider les réserves, de fouiller tous les recoins, d’abîmer, bref, d’être indigne d’une confiance que je n’ai pas cherché à gagner.
Je rêve de faire défection mais je sais ce qui m’attend. Je vais passer huit jours de souris, à occuper le moins d’espace possible et ne rien déranger.

Carole Zalberg

Cette femme est un mystère. Je la regarde dans les yeux et plusieurs questions me traversent l’esprit. Est-elle calculatrice ? Sociopathe même ? Est-ce moi qui suis parano ? Peut-être que sa bienveillance, son sourire attendrissant et son regard pétillant sont sincères. Pourtant, tous ces signes de bonté sont en contradiction avec ses actes. Il y a deux jours de cela, elle m’a brisé le cœur en ayant cette même expression. Et aujourd’hui, aux États-Unis, ce pays qui est d’ailleurs à l’image même de son hypocrisie, elle me propose d’habiter avec elle et son acolyte numéro deux. Nous sommes sur le seuil de la porte. La propriétaire nous attend à l’intérieur. Elle, me regardant toujours avec tendresse, attend une réponse positive. Voyant mon air perplexe, elle me prend la main et me dit délicatement : « Our home is yours, sweetheart. » Je fonds. Ma naïveté et mon inconscience prennent le dessus. Je l’enlace et abandonne instantanément tout amour propre.

Nancy

4 avril 2016
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