Petit théâtre critique

La prise en main du blog « Â nuage critique  » par les étudiants du master Métiers du livre de Paris-X est maintenant accomplie et je me retrouve régulièrement, avec enthousiasme et souvent surprise, àlire et discuter les chroniques que ces néo-rédacteurs me proposent pour alimenter leur nouveau média. Sur ce point, outre la qualité rhétorique des articles, je suis frappé par le rapport que ces jeunes lecteurs entretiennent avec le temps littéraire. Les livres présentés ont souvent été publiés il y a quelques années voire... carrément plusieurs siècles. Comme si l’hypnose du présent éditorial n’agissait pas (encore) sur eux, comme s’ils avaient conservé la fraîcheur et la bienveillance pour vouloir parler d’autre chose que de ce qui fait, pour le meilleur et pour le pire, « Â l’actualité  »... Il est ainsi logique qu’ait été créée sur la page d’accueil du blog une entrée « Â inactualité  », où l’on trouvera, par exemple, une très personnelle lecture du Maître et Marguerite de Boulgakov. La notion de « Â classique  » ne repose pas ici sur l’idée d’une « Â valeur littéraire éternelle  » mais sur l’inscription dans un temps autre, en rupture avec les « Â urgences  » du présent, dans une histoire où l’on peut naviguer àsa guise.

Outre l’écriture critique proprement dite, nous avons également essayé de donner la parole au corps... en théâtralisant le discours critique, àtravers une série de jeux de rôle où il convenait de concevoir et mettre en scène un programme original, radio ou télé, sur sa Majesté le livre : la critique, c’est aussi l’usage de l’art oratoire... Bien vite s’est imposé un régime parodique des émissions littéraires institutionnels du paysage audio-visuel, où les étudiants les plus timides se sont montrés d’une loquacité àtoute épreuve ponctuée de transgressions diverses et variées – je revois un solide gaillard mystérieusement installé sur les genoux, le nez collé àla table d’un faux plateau TV et se transformant soudain en un lecteur d’Harry Potter de sept ou huit ans, habité par une voix de demeuré...

Deux programmes étaient pleinement de saison : le premier proposait une battle entre les lauréats des différents prix Goncourt des vingt dernières années avec vote payant des spectateurs àla clé ; le deuxième, spécial Halloween et intitulée le Tribunal des mots, ressuscitait Conan Doyle et ses créatures de papier pour savoir qui, en définitive, était le véritable criminel du créateur ou de ses personnages... Une tuerie !

12 novembre 2015
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