Puisqu’on parle de cartes
Ça a commencé par des images, celles que Ludovic Michaux a prises du lieu de vie de Ghetto, un SDF qui a établi son territoire — pas un campement, un appartement à ciel ouvert — et d’étranges sculptures faites d’objets de récupération sous un immense nœud autoroutier.
Ludovic Michaux a photographié les sculptures mais jamais le visage de Ghetto. Il a photographié, aussi, ce qu’il appelle les « anticorps ». Ces installations, officielles cette fois, qui empêchent les SDF de s’installer dans les angles morts que des architectes négligents auraient laissés dans le tissu de la ville alors qu’on leur demande de les limiter au maximum, ces espaces où un homme pourrait se tenir, et si malgré tout ils existent, de trouver vite à les combler.
Ces images ont suscité l’écriture quand Arno Bertina a commencé à voir apparaître son personnage, à l’entendre. Quand le photographe lui a dit que l’homme était tendu. Pas besoin de savoir s’il était blond ou brun. Cette tension. Et puis sa voix, sa manière de parler. Quand on vit dans un endroit où il y a autant de bruit, il faut parler fort et quand on parle fort, on ne dit pas les mêmes choses que quand on chuchote. On peut laisser passer la colère, ça oui. Mais quand on crie, il y a des choses qu’on ne dit pas.
Ce lieu, il façonne le personnage, il le fabrique. Il dicte le positionnement de son corps, comment il se tient, comment il parle, donc ce qu’il dit.
Dans La Borne SOS 77 comme dans le projet mené avec les élèves, cette même volonté de témoigner d’une réalité quotidienne, urbaine, liée au territoire qu’on arpente tous les jours. Où est-ce qu’on se situe. Comment cela nous fabrique. Comment on y trouve, comme dit Ghetto, quelque chose de soi.
Le dialogue entre le texte et les images se fait en décalage, en contrepoint. Ne pas trouver l’image où on l’attend mais un peu en amont, un peu en aval. Ici encore, la géographie traverse et influence la façon dont on pense le livre. Le positionnement de l’image permet de créer une autre faille, une autre brèche où, cette fois, c’est le lecteur qui glisse quelque chose de lui.
Que ce soit dans le tissu de la ville, dans le décalage entre le texte et les images, dans l’appropriation de son environnement, c’est de cela qu’il est question, chercher dans les interstices, ouvrir des portes dérobées. Arno Bertina et Ludovic Michaux nous y ont aidés.
La rencontre a eu lieu le 6 mars 2012, à la médiathèque Roger Gouhier de Noisy-le-sec. Merci à Marion Serre et à toute l’équipe de la médiathèque.