Seuil et Trajectoires 2

Août 2015 – suspension des entretiens, des rdv, plaisir d’être au lointain/pas loin — comment expliquer que je « suis » cependant fin juin, que les jours du temps commun (partagé), qui sont comptabilisés dans le calendrier, forment une masse qui n’a rien à « voir » avec ma pensée ? L’avenir est derrière.

So ?

SO est la formule chimique du monoxyde de soufre ;
Le sô est une langue môn-khmer parlée au Laos et en Thaïlande ;
Les So sont un groupe ethnique de la République démocratique du Congo ;
Un So est un instrument musical à cordes au Laos
So est le nom d’un album de Peter Gabriel ;
Sō est le terme japonais pour perception : voir Samjñā ;
Le So était un type de produit laitier fabriqué au Japon entre le VIIe siècle et le Xe siècle
So ou So ? est un groupe de hip hop.
So est un sigle, qui signifie :
 shared object, un module de bibliothèque dynamique partagée pour Unix/Linux
 Sud-Ouest
 Significant Other
 Service d’ordre
S/O ou s/o est un sigle qui signifie "sans objet" (synonyme dans ce cas : "néant")

Alors quoi l’IMAGINAIRE ?
Un fragment de Babel en chacun de nous ?
Une formule ? Imaginaire = incs/infini + consc/finitude + (mémoire/project°)
réalité

On pourra se demander pourquoi cette introduction foutraque. On peut. Au pourquoi, je vais tenter de relater ce « là » où me fait arriver mon second trimestre de résidence. Un « là » qui est plus anarchique qu’anomique — parce que s’y mêlent différents champs d’exploration et d’expérimentation qui comportent tous une certaine cohérence interne.

> J’ai près d’une centaine d’heures d’entretiens : des fragments de vie, des parcours variés (horloger/musicien ayant grandi sous la dictature franquiste, une juriste passionnée, un peintre qui pense en lignes et rythmes, une graphiste qui rêve d’être aromathérapeute…).
> Je suis, en parallèle, riche et prisonnière, de cette diversité humaine et mes premiers poèmes sont plus de mini-récits irréprochablement respectueux. In petto, je SENS bien que l’écriture n’est pas en adéquation avec ce qui résonne en moi ; il m’arrive régulièrement en prenant congé d’un des participants de n’être habitée que par un son, une image, une phrase ou bien alors, à l’inverse, par un « flot » d’énergie, de sonorités… (NB : on se rassure, je n’aborderai pas ici la question terrible : « - De quoi ta conscience a-t-elle crainte ? »)
> La contrainte – que je me suis infligée toute seule – d’une rencontre/un poème me pèse mais c’est ce que j’ai annoncé aux personnes que je rencontre. Questions : sommes-nous liées par un contrat quelconque ? si oui, qui tromper ? les autres ou moi ?
> la question de tromperie fait-elle sens dès lors que lorsque je dis « je » dans un poème, c’est moi qui l’écris ?

Au cours de ce second semestre, deux instants vont faire événement : la rencontre de Mélissa, assistante de gestion chez M. Sloop et un café solitaire dans un troquet rémois.

I – Mélissa

Mélissa a 21 ans. Au commencement de l’entretien, nous passons par les habituelles phases de la retenue, la gêne et, en arrière-plan, je sais que plane la question « Qu’est-ce qu’elle attend de moi ?  ». Milk-shake pour l’une, bière pour l’autre. Elle évoque sa famille, le choc douloureux de la mort de son grand-père, les bonnes notes avant cette disparition, le flou qui la suit, quasi du désintérêt, la danse que sa mère lui a fait arrêter « parce qu’il n’y a pas d’avenir dans cette voie-là ». Je questionne, elle répond. Travail ? Ça devrait être ce qui te passionne. Imaginaire ? La cuisine, j’aime beaucoup cuisiner. Et puis, j’aimerais partir aux Etats-Unis. Je reviens à la danse, demande si il y a des musiciens qu’elle aime particulièrement.

— Non, pas vraiment.
—  Mais quand tu parles de tes galas, il n’y a pas des chanteurs, des morceaux sur lesquels tu aimes particulièrement danser ?
—  Oui, mais c’est pas vraiment des musiciens…
—  C’est-à-dire ?
—  Je sais pas.
—  Par exemple, le spectacle qui t’a rendue le plus heureuse, tu dansais sur quoi ?
—  Don’t stop the music de Rihanna mais…
—  Mais quoi ?
—  Je croyais que tu parlais de musique comme Mozart…
—  Mais pas du tout !

Dès lors qu’elle comprend (au sens littéral) qu’elle ne doit pas correspondre à ce qu’elle m’imagine être (un Auteur) et attendre, la conversation devient plus fluide, plus détendue. Ainsi, cette jeune fille décidée, sérieuse, lorsqu’elle évoque la danse, s’anime et crépite d’un joli feu. Je prends conscience qu’aux hésitations succèdent des phrases plus longues, plus riches. J’entends par là que sa parole se MODIFIE : Mélissa s’exprime par comparaison et accède à la métaphore (la libère serait plus juste) . L’entretien se fait confidence, elle me parle de l’entrave sociale, amoureuse, de ses « questions débiles » qu’elle ne partage qu’avec sa petite sœur. Ex. : (elle pose sa main sur son verre) Pourquoi on a décidé d’appeler ça un verre ? (sa main glisse jusqu’à la table) Et pourquoi c’est pas la table qu’on appelle verre ?
Lorsque nous nous quittons, elle est quasiment prête à me croire lorsque je lui affirme qu’il y a des gens très sérieux qui ont passé, qui passent leur vie à se poser ce genre de questions débiles.

Je me sais émue par cette jeune fille mais l’émotion ne fait pas révélation, elle la permet : je n’avais jamais, malgré bien des ateliers, des rencontres, perçu à quel point le langage et l’imaginaire étaient liés, combien la métaphore était l’enjeu de l’épanouissement, du dialogue soi-monde. Ce moment où le penser – parler s’ébroue*, se coordonne et la conscience est devenir et non état fini, subi. L’évidence n’est évidence que lorsqu’elle s’est présentée à vous et vous permet de la partager, sinon ça n’est tout au plus qu’une habitude.

— Incise : un article de Frédéric Kaplan sur la question de l’appauvrissement du langage —

II – Solitude vive

J’ai eu l’occasion de me plonger, ces dernières années, dans l’œuvre de B.M. Koltès, accompagnant les recherches du metteur en scène B. Duval qui adaptait alors La nuit juste avant les forêts. Le propos récurrent de présentation du projet était : « On n’est jamais aussi seul qu’au milieu des autres. » Cette phrase rappelait la tentative désespérée du narrateur inconnu, voire anonyme, de se lier par une parole-flux (sans ponctuation aucune) à qui l’écouterait.
J’ai longtemps porté cette phrase comme l’affirmation de notre impuissance à sortir de nous-mêmes, à nous lier « véritablement ». L’âge aidant (on va dire ça comme ça), j’y entends aujourd’hui un autre son, un autre sens puisque ma propre conception de la solitude s’est renouvelée. Amendée pourrait convenir.
Je ne peux plus désormais prendre à mon compte le « n’est jamais aussi.. que ». Un "Nous sommes seuls" me suffit amplement — c’est, à mon sens, notre condition, elle n’exclut pas l’autre bien au contraire. Partant de là, j’arrive à Reims. :)

Juin 2015 – TGV Paris/Reims : j’ai une heure devant moi avant mon rendez-vous. Je me pose à la terrasse du Lion de Belfort, commande un café, bouquine « un peu ». Très vite, je préfère me laisser aller à une vague rêverie. Très vite, la résidence envahit mon esprit ou plus exactement mon esprit s’enfonce dans la résidence, les préoccupations qui en sont nées. L’enfoncement n’est pas un mouvement vers le bas, mais plutôt une avancée horizontale dans un espace encombré.

— Incise : Borgès, Blanchot... il me semble devoir travailler "conjointement" les notions de labyrinthe et de palimpseste en 3D. L’espace encombré dont je parle et dans lequel je me fraie un chemin semble avoir été pré-assemblé/dessiné inconsciemment :

les parois qui m’entourent sont des agglomérats "bruissants". —


L’ami que j’attends de rencontrer est peintre et il a bien voulu, quelques semaines auparavant, m’accorder un entretien. C’est donc naturellement que s’associent dans mon esprit ce qui m’entoure, la notion de toile, de cadre et la volonté de comprendre ce qui pourrait s’y tramer. Je m’impose un espace défini à regarder, m’interdisant de me laisser distraire par une chevelure, un vêtement qui me plairait, une ironie quelconque… Dans ce cadre, les gens vont et viennent. Ils apparaissent, disparaissent. Disparaissant, ils (me) laissent « quelque chose » et j’ai donc comme une toile composée de surimpressions invisibles à la fois DEVANT moi et EN moi. La certitude s’impose. C’est vers « ça » que doivent tendre mes poèmes : amas, colonnes, lignes, apparitions, disparitions et cie..!
Mouvement de causalité : le souvenir de ma première rencontre avec Patrick Chatelier (découverte des possibilités de remue.net) jaillit. En « triturant » la mise en page sur le site via SPIP, je peux sans doute entamer véritablement l’expérimentation et cesser de me torturer avec un « rendu bien sage ».

Seule au milieu/avec d’autres, la pensée est vive, l’imaginaire en plein travail. Les premières tentatives seront mises en ligne à la rentrée seulement car de l’idée à la réalisation, le pas est conséquent : ma pratique numérique de l’écriture s’arrête à Word et QuarkXPress…

*bonus

20 août 2015
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